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Venu non de Sardaigne comme "le mal de pierre" de Milena Agus, mais de Sicile, ce bref roman du palermitain Giosuè Calaciura est à nul autre pareil.

Imaginez un monologue somptueux, baroque et boursouflé, tenu par un obscur soldat de Cosa Nostra, qui interpelle sans cesse "monsieur le juge" pour lui raconter ses crimes, s'en justifier parfois, ou s'en vanter en lâchant une rafale d'allusions à l'histoire de Palerme et de la Sicile.
« Nous n'étions plus rien, monsieur le juge…» —C'est la formule qui salue régulièrement le magistrat en charge du dossier des crimes innombrables du narrateur et de ses redoutables amis— « Nous n'étions plus rien, monsieur le juge, mais nous étions habiles et spuntuliddi, de vrais petits durs, poussés comme des bois tordus, égratignant notre âme chaque jour aux aspérités de la survie.»
 
  Palerme, Quattro Canti

        Ce malacarne, cette mauvaise graine, par sainte Rosalie patronne de Palerme, il en raconte de belles ! Depuis le recrutement dans les quartiers populaires, jusqu'à la guerre totale où le P.38 et la lupara cèdent la place au bazooka et à la TNT, depuis l'évocation de la Reconstruction quand les sacs de ciment participaient aux trafics illicites, jusqu'à la période de la guerre entre les familles pour le contrôle de la coupole, depuis l'action secrète au service de la CIA jusqu'à l'apogée des trafics de drogue, d'armes, et de subventions européennes. Mais sans jamais donner des noms : voilà pour l'omerta !
 
Palerme, Marché de la Vucciria

    C'est donc un roman métaphorique, pas du Zola, pas une thèse d'histoire contemporaine.
 
« Monsieur le juge, il monta dans notre voiture sur ses jambes de perroquet anéanti, nous indiquant le lieu le plus opportun où il lui plaisait de mourir, là, devant la mer joyeuse des rochers de son enfance. Il nous tourna le dos et se mit à chanter la tristesse d'un amour déchiré sous la pleine lune de Mergellina où le pêcheur est un roi au fond de la mer, avec les roulades parfaites de son gosier parthénopéen, avec la poésie poignante de son cœur qui pleurait pour cet amour qui jamais n'exista. Nous tirâmes, monsieur le juge, en l'applaudissant.»

Ainsi périt le vieux mafieux, amateur d'opéra et de chanson napolitaine, que le narrateur a été chargé d'éliminer, lui qui regrette le bon temps de la prison et des avocats tout neufs.
 
Palerme, prison de l'Ucciardone

Mais la mattanza de terre continue jusqu'à ce que l'organisation mette fin aux péroraisons de ce spadassin trop bavard aux yeux de ses chefs — à moins que ce ne soit aux yeux de certains lecteurs lassés par une convention narrative épuisée au bout d'une centaine de pages.
 
Giosuè CALACIURA : M A L A C A R N E
Traduit de l'italien par Lise Chapuis. Les Allusifs, 2007, 173 pages.

Du même auteur : "Les Passes Noires"

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ITALIENNE
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