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Paul Signac. « Pin à Saint-Tropez ». 1900. Musée Pouchkine, Moscou.

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Depuis des millénaires, en 2017 aussi bien, l'Arbre interpelle les peintres, qu'il soit représenté pour lui-même ou qu'il structure l'espace de la toile. Sa verticalité en fait la figuration symbolique d'entités qui le dépassent : Arbre de la Connaissance, il magnifie aussi le rapport des forces chthoniennes et de la puissance divine ; Arbre de Vie changeant au fil des saisons tels les âges de l'existence humaine, il incarne le cycle de l'évolution cosmique. En toutes cultures, l'Arbre représente l'Axe du monde et régénère l'homme qui lui ressemble. 

Seul, évident, l'arbre peint pour lui-même affirme sa puissance. Tel est le « Grand chêne » du danois Lorenz Frølich (Metropolitan Museum, New York, 1837).

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1 - L'arbre dans le paysage : composition

 

Au début de cette histoire, l'arbre est seul. Il n'y a pas encore de paysage. Il est peint pour lui même. Par exemple par Paul Cézanne (« Le grand pin » Museo de Arte, São Paulo, 1887-89).

Ensuite on imagine un paysage pour accompagner l'Arbre. Albrecht Altdorfer place un homme minuscule au pied du géant (« Paysage avec bûcheron », c.1522, Kupferstichkabinett, Berlin). L'arbre est force et puissance ; le temps ne l'atteint pas. Il est bien vivant, alors que la maison est en ruines. 

 

Souvent, le paysage s'organise autour d'un arbre, ou d'un bouquet d'arbres, et l'arbre tend à se confondre avec le paysage. 

Wang Meng (1308-1368), grand artiste de la dynastie Yuan, a dessiné au centre de la composition un lettré en train d'écrire dans une petite maison sous les grands pins. (The Cleveland Museum of Art). Là encore, l'homme est peu de choses comparé à la majesté des arbres.

Il y a tant et tant de façons d'agencer l'arbre dans le paysage, entre un premier plan et un objet lointain, d'un bord à l'autre du tableau ou du dessin... Il peut borner l'espace ou scander les distances depuis l'œil du spectateur. 

L'arbre du premier plan encadre de son tronc en "V" un paysage composé par Andô Hiroshige (1797-1858) pour la série des « Cent vues de Edo » (« Meisho Edo hyakkei », 1857). 

Autre paysage classique, celui de Nicolas Poussin (Paysage idéal, Madrid, Musée du Prado, vers 1650). Des arbres dans le lointain. Plus proches, d'autres arbres équilibrent la composition à droite et à gauche.

Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819) reprend le même schéma un siècle et demi plus tard. Il utilise l'arbre en arrière-plan avec les cyprès près de l'église, et il encadre son sujet en variant les essences entre le côté gauche et le côté droit. Voici « View of Roman Campagna with bathers » (The Matthiesen Gallery, Londres). 

Laissons la composition classique inspirée par le séjour italien des artistes, passons à une vision plus géométrique, avec une forte symétrie, comme la progression sur un chemin ou une route le suggère. Dans ce paysage peint par Ferdinand Hodler (« Soir d'automne », 1892, Musée de Neufchâtel) les arbres défilent sur les bas-côtés ; cela donne sa profondeur au tableau tout en surlignant le point de fuite.

 

Jean-Baptiste Camille Corot (1790-1875) est sans doute l'un des peintres ayant le plus peint les arbres ! Ici, un alignement d'arbres ferme l'horizon et filtre la lumière pour que les vaches se reflètent sur l'étang ou le pré inondé.

Avec « L’étang à l’arbre penché », Ville d’Avray (1865) une des multiples créations picturales où la masse des arbres divise le tableau entre une moitié éclairée et une moitié plus sombre...

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2 - L'arbre témoin du milieu géographique

L'arbre dans le paysage donne souvent la référence à un lieu, à un espace. L'arbre évoque principalement un milieu géographique. Le « Palmier » de Jean-Hippolyte Marchand (1883-1940) renvoie à un paysage d'Afrique du Nord (The Courtauld Institute of Arts, 1914).                     

Dans ce « Paysage avec des oliviers et une chapelle » de Pierre Bonnard (Courtauld Institute, Londres, vers 1924), les arbres attirent le regard sur un paysage provençal — même si les oliviers sont outrageusement bleus.

En revanche « Les Oliviers » de Vincent Van Gogh (MOMA, New York, 1889) sont étonnamment verts. A l'époque impressionniste, la vérité photographique n'a pas lieu d'être, ou du moins n'est plus prioritaire-; elle cède sa place au regard de l'artiste.

Le vert domine dans l'œuvre suivante,  « L'Oliveraie », toujours de Van Gogh, et de 1889, au Musée Kröller-Müller à Otterlo aux Pays-Bas.

Plus récent, d'un peintre de l'Ecole de Paris. Blessé durant la Première Guerre mondiale, Moïse Kisling s'est installé en Provence jusqu'en 1920. Cette promenade ombragée peinte à Ramatuelle illustre la diversité des essences de la forêt méditerranéenne.

Si Kisling témoigne de visu de la forêt méditerranéenne, d'autres l'auront seulement rêvée. Henri Rousseau dit le Douanier trouvait son inspiration dans des catalogues : sa forêt est exotique et ses arbres indéfinissables. La petitesse de la femme comparée à la taille et à l'enchevêtrement des branches créent une impression d'étrangeté tropicale. (« Femme marchant dans une forêt exotique », Fondation Barnes, 1905).

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3 - L'arbre et les quatre saisons

 L'Hiver. Les bois sont dénudés, ainsi ce « Sycomore » de l'américain Andrew Wyeth (1917-2009). Il ne s'agit pas d'une photographie mais d'une tempera de 1982.

 Le Printemps. Les arbres sont en fleurs. Au Japon bien sûr... Kano Sanraku, peintre de l'époque Momoyama (XVII° s., Tokugawa Art Museum). Une grue traverse de droite vers la gauche les panneaux « Oiseaux et Fleurs au cours des quatre saisons » : le contexte indique la saison, ici, donc c'est le printemps.

Ci-dessous le magnifique cerisier en fleurs, vu par Kano Eino (1631-1697. Suntory Museum of Art, Tokyo).

  L'Été. Plus de lumière dans les feuillages. Claude Monet : Trois arbres, été. (1881. National Museum of Western Art, Tokyo).

  Automne. Plus que l'arbre c'est l'explosion colorée des feuilles qui retient le regard du peintre. « Sycomore in Autumn, Orange County park ». Tableau d'Edgar Payne (1882-1947) réalisé vers 1917. Collection privée.

  Ou encore cette « Clairière » du nabi Paul Ranson (1895, collection privée).

Alexandre Cozens (Russie 1717, Londres 1786) s'est lui aussi intéressé aux arbres.

Cette « Vallée près de Matlock » (coll.privée) date de 1756. 

 

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4 - Peindre ou dessiner un arbre

 

  Il y a d'abord la difficulté, le défi à relever ! Le crayon de Thomas Gainsborough esquisse le détail des frondaisons sans chercher à les rendre avec la plus grande minutie. 

  Le crayon du belge Patrick Van Caeckenbergh « Drawings of Old Trees » (2014) est effectivement plus minutieux. L'artiste a entrepris en 2010 une série de dessins réalisés à partir de photos de vieux arbres en choisissant un réalisme... photographique.

Sans attendre le XXI° siècle, la minutie était déjà le parti du chinois Li Cheng (919-967), peintre du Shandong. (Musée national, Taipei.)

Une autre voie est toujours possible...

C'est celle que choisit Paul Cézanne pour, par ex. son « Grand pin et terres rouges » (L'Ermitage, Saint-Petersbourg). L'arbre n'est vu qu'en partie. Le ciel est peint dans les intervalles des branches. Le feuillage est constitué de grosses touches de couleur, floues, comme des nuages de vert encadrant la structure : tronc et branches principales, mais rien du « détail » des solutions précédentes. Le tronc et les branches sont des formes soulignées de noir, selon la manière de Cézanne.

Piet Mondrian a vécu ce choix et l'a mené jusqu'à son terme. Pour tenter d'illustrer le passage d'un arbre encore figuratif à une vision de dynamiques verticales et horizontales, et de là à des créations abstraites géométriques.

« Arbre rouge » (1910, Dallas, Museum of Art).

« Arbre bleu » (1909, La Haye, Gemeentlemuseum).

Sa quête de pureté spirituelle à travers la peinture, dans le mouvement De Stijl, le conduit à peindre des lignes droites, débarrassées du détail des feuillages, mais multipliant les sortes de signes + comme si  l'arbre était devenu croix.

               

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5 - L'arbre comme métaphore

 

La solidité de ces arbres pourrait figurer le symbole du couple. Une œuvre de Meret Oppenheim (Berlin 1913, Paris 1985) n'irait-elle pas en ce sens ? Voici « Daphné et Apollon » (1943, huile sur toile, 140x80 cm, collection Lukas Moeschlin, Bâle).

Mais si l'arbre était peint de travers ? Ne serait-ce pas la preuve d'un trouble, d'une névrose comme dans le cas de « L'Arbre rouge » de Séraphine Louis ? (1928-30, Centre Pompidou de Metz). 

Si l'arbre symbolise une force remarquable par son enracinement même, sa chute, ou son foudroiement se lisent comme un drame, une existence brisée. L'arbre peut donc symboliser la fragilité. Le tronc seul est ici peint par Alexander Cozens (Russie 1717, Londres 1786).

 Ci-dessous : « Un arbre foudroyé », du même Cozens. Crayon, encre et aquarelle. (Courtauld, 1780 env.)

Arbre abattu, arbre foudroyé, arbre brisé. Celui-ci a été peint par Achille-Etna Michallon (1786-1822) comme métaphore de l'homme terrassé. Voici  « La Femme foudroyée » du Musée du Louvre.

Edvard Munch (1863-1944). « Le tronc jaune », 1912. Musée Munch, Oslo.

La vision romantique ; par exemple de Caspar David Friedrich. « L'Abbaye dans une forêt de chênes »  (1809-1810 - Alte Nationalgalerie, Berlin) reprend le thème romantique des ruines et de la mort, souvent présent chez ce peintre qui se sent responsable de la mort de son frère, tandis que l'Europe est déchirée par les guerres napoléoniennes.

Autre siècle, autres guerres. En souvenir de la communauté allemande massacrée par la guerre, Anselm Kieffer peint « Varus » (1976. Abbemuseum, Eindhoven), évocation de carnages successifs au cœur de son pays. Varus, rends-moi mes légions s'écria l'empereur romain... Vaincu par Arminius (Hermann dans le tableau) Varus s'est suicidé. La défaite romaine dans la forêt de Teutoburg, Tacite l'a narrée dans « Germanie ». C'est aussi dans ce bois le souvenir des disparus dont les noms sont marqués sur les arbres. Des siècles passent. L'histoire allemande s'ancre dans la guerre et la forêt...

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6 - L'arbre symbole de vie — et d'espoir 

 

C'est l'espoir du monde meilleur entrevu sinon fondé par les Révolutionnaires de 1789 ou les Républicains de 1848 qui amena les citoyens et les maires de nombreuses communes à planter des Arbres de la Liberté. L'Arbre de la Liberté peint en 1791 par Jean-Baptiste Lesueur est conservé au Musée Carnavalet, à Paris.

Dans l'art ancestral des Warli (Inde) l'arbre symbole de la vie est peuplé d'insectes et d'oiseaux, tandis que les hommes s'activent dans son ombre. (Expo Dijon mai 2014. "Les animaux dansant" de Shantaram Tumbada, bouse, résine, acrylique sur coton).

Gustav Klimt reprend l'Arbre de vie du second récit de la Genèse. Cet arbre symbolise l'immortalité.

« L’Arbre de Vie » de Gustav Klimt est le détail central d'une esquisse pour la fresque du palais Stoclet (musée des Arts appliqués de Vienne, 1905-09). Représentatif de la Sécession viennoise, cet arbre stylisé est prolongé par de nombreuses volutes dorées. Entre tradition médiévale, peinture naïve, allusion japonaise, et création d'Art nouveau.

    « L'Arbre de Vie » de Patrick Van Caeckenbergh est tout autre ! C'est une boîte de 46 x 36 x 12 cm avec éclairage électrique. (Exposition au Museum Leuven, Belgique, 2012).

Comme un arbre généalogique. L'Arbre de Jessé est, dit-on, le prototype de l'arbre généalogique. L'arbre montre l'ascendance royale du Christ. Jessé, qui somnole sur son trône, était le père du roi David. Il fut un motif fréquent dans l'art de l'Occident chrétien entre les XIIe et XVe siècles. Enluminure d'un manuscrit de la fin du XV° siècle [Paris, Bibliothèque de l'Arsenal].

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7 - L'arbre symbole biblique et chrétien 

 

L’arbre au singulier a aussi une charge symbolique très forte dans la tradition occidentale : n’oublions pas que dans la Bible, l’arbre primordial, planté au milieu du Paradis terrestre, est « l’arbre de vie » ; il est accompagné du mystérieux « arbre de la connaissance du bien et du mal », dont Yahvé avait interdit les fruits à Adam et Eve (cet arbre a été assimilé à un pommier, malus en latin, rapproché de malum, qui signifie le mal). L'Arbre du Paradis terrestre serait l'origine de l'arbre de Noël selon certains...

Enlumire du Beatus de l’Escorial, X°s., Adam, Eve et le serpent dans l’arbre de la connaissance et du mal au jardin d’Eden. Le thème va connaître une formidable postérité...

Pour Albrecht Dürer également, « Adam et Ève » encadrent l'Arbre de la connaissance du bien et du mal.

On garde un décor de Paradis terrestre peuplé d'animaux. Le serpent est accroché à une branche au centre de la composition. [1504, Francfort, Städel Museum].

Le Titien (« Adam et Ève », Musée du Prado) peint la chute d'Adam en 1550. Adam est devenu barbu. Il s'est assis. Il caresse l'épaule d'Ève. Elle cueille la pomme que tend un amour diabolique plus actif que le serpent en retrait dans l'ombre. L'arbre reste central.

L'arbre est toujours là. Mais, Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) avec « La plainte de Cupidon à Vénus » (peinture sur bois vers 1525 National Gallery Londres) détourne le thème chrétien de la tentation d'une Ève, plus dénudée que jamais.

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Comment conclure ? Je finis par une installation. Elle figurait en 2012 au Lieu Unique à Nantes dans l'exposition « la belle peinture est derrière nous ». C'est l'œuvre de Damien Deroubaix. « Burzum » est le titre de cette installation avec arbre, sangles, métal, ampoules, etc...

« La Nature est un Temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles
L'Homme y passe à travers une forêt de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers ».
 
          (Baudelaire, “Correspondances”)

 

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Tag(s) : #BEAUX ARTS, #ARTS PLASTIQUES
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