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Des Vanités

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Introduction

 

 Dans l'histoire culturelle occidentale, les Vanités tiennent une place particulière doublement centrée, dans l'espace sur la Hollande, et dans le temps sur les années 1630-1650, avec des débordements réduits sur le reste de l'Europe occidentale, et le reste du XVII° siècle. Il est donc légitime de s'interroger sur cette spécificité des Vanités. Mais d'abord qu'est-ce qu'une Vanité ? Pour démarrer sur un exemple simple, cette vanité attribuée à Philippe de Champaigne nous confronte avec brutalité au "memento mori" : la nature est belle (la tulipe), mais souviens-toi que tu es mortel, et que passe le temps (le sablier).
 
Philippe de CHAMPAIGNE - Vanité
Milieu du XVII° siècle, Musée de Tessé, Le Mans
 

Essai de définition d'un genre

Au début de l'ère baroque —les Français préfèrent évoquer l'âge classique ou la période de la monarchie absolue— la Hollande et plus généralement les Provinces-Unies semblent avoir "volé" à l'Italie l'hégémonie dans l'art pictural.

L'école hollandaise repose sur plusieurs bases. D'une part deux siècles de peinture flamande ont apporté de nombreuses innovations (notamment maîtrise de la perspective, peinture à l'huile sur la toile, souci du détail); d'autre part le dynamisme du marché de l'art qu'offre un ensemble de cités marchandes où la bourgeoisie prospère dans une abondance matérielle sans précédent ; enfin un climat religieux marqué par le triomphe du calvinisme.

Dans ces conditions, les peintres hollandais se spécialisent dans les portraits, les marines, les scènes de la vie quotidienne, les paysages ruraux et urbains, et ce que les Français qualifieront de natures mortes, mais c'en est fini des commandes de Vierge à l'enfant ou de tableaux de saints.

La Vanité constitue un sous-genre de la nature morte
 
L'appellation "nature morte"  ne s'est imposée en France qu'en 1756 après le succès de Chardin (1). Vers 1650 les Hollandais qualifient  ces œuvres de " still leven " — d'où les termes "still Leben " en Allemagne,  "still life"  en Angleterre, mais "bodegon" en Espagne.
 
 

Pietr CLAESZ (1597-1661) Vanité - 1625 - Musée Frans Hals, Haarlem.

 

Ce qui précède explique pourquoi, dans les catalogues des musées et des galeries virtuelles, la Vanité est souvent nommée "still life" . Or, la Vanité est une "still life" bien spécifique. C'est la présence d'un crâne, résumant la mort, qui permet la distinction. Les éléments constitutifs de la Vanité varient par leur nombre. Ils évoquent les cinq sens —et certaines œuvres se limitent aux cinq sens sans représenter de crâne. Ils évoquent aussi la culture humaniste du livre (reliures, livres ouverts) et l'état des connaissances par des objets techniques précis (globe terrestre, sphère céleste).


La Vanité (vanitas) se développe dans une époque où le latin est partagé par l'ensemble des classes cultivées de l'Europe occidentale, et où l'environnement chrétien est indissociable d'une certaine familiarité avec la langue latine. On ne sera donc pas surpris d'y retrouver des formules latines dont la plus connue est :  « vanitas vanitatum et omnia vanitas » [«Vanité des vanités, tout est vanité.» Écclésiaste, 1.2] ou bien encore « memento mori ».

Une vanité d'Edwaert ou Evert COLLIER (Breda c.1640-Londres c.1708) rassemble les deux formules écrites et multiplie les objets significatifs du genre autour du crâne : deux livres, des partitions musicales, deux tibias croisés, deux instruments de musique, une lampe qui s'éteint... Collier s'établit à Leyde en 1667 et produisit un grand nombre de Vanités.

 

Evert COLLIER - Vanitas still life. 1652

 

Les Vanités ont une signification symbolique et philosophique puisqu'elles mettent en balance la mort et les œuvres humaines (2). D'un côté les richesses et les plaisirs de l'existence, de l'autre le triomphe de la Mort, rappelé à tous, ou du moins aux "riches pénitents [qui les] plaçaient dans leur oratoire pour méditer sur la futilité des choses de ce monde tout en contemplant une œuvre d'art” (3).

Mais s'il devait choisir, le chrétien de ce temps choisissait le salut de son âme, étant prêt à lui sacrifier les douceurs de sa vie terrestre personnelle. Lorsque les Médicis furent chassés de Florence à la fin du XV° siècle, Savonarole prit le pouvoir et établit une tyrannie religieuse extrême : on organisa un bûcher des vanités. La 7 février 1497 les Florentins vinrent "brûler les œuvres de Dante, de Pétrarque et de Boccace, en même temps que jeux de cartes, instruments de musique, bijoux, perruques et peintures profanes" (4). Ces objets se retrouveront dans les peintures de vanités du XVII° siècle.
 
 
Vanité au sens propre et non Allégorie de la Vanité 
 
On notera enfin que la Vanité ainsi définie ne devrait pas être confondue avec une allégorie ; en effet, s'il y a des allégories de la vanité, comme il y a des allégories de la justice, de la fortune, ou de l'amour, elles ne relèvent pas des Vanités en tant que sous-genre ou thème pictural. Ainsi la femme au miroir d'un triptyque de Memling ne constitue pas au sens propre une Vanité (vanitas), mais une allégorie de la vanité. La Vanité personnifiée est souvent une "jolie femme dénudée accompagnée d'un paon, [qui] se contemple dans un miroir." (5)

        

Hans MEMLING - La Vanité - Musée des Beaux-Arts, Strasbourg. Vers 1490.

 

Pas de paon, mais un bichon et deux lévriers sur l'œuvre de Memling. (On retrouve les deux lévriers sur la fresque de Rimini, "Saint Sigismond et Malatesta", par Piero della Francesca — symboles de fidélité et de prudence…)

Au siècle suivant, cette Allégorie de la Vanité, orientée vers la musique, est intermédiaire entre le thème de la femme à sa toilette et celui de la vanité des plaisirs :
 
MOLENAER - Allégorie de la Vanité - 1633 (détail). Toledo Museum of Art, Toledo, Ohio.

 

Si dans ce dossier la peinture des vanités va nous faire parcourir les siècles, et franchir les frontières, prenons juste un instant pour considérer des versions cousines, celles de la sculpture et de la gravure. La figure de la Mélancolie avait précédé la mode des Vanités.

 

A gauche : Memento Mori  - vers 1650. Rubenstein Library, Duke University.
A droite : gravure de Vésale.

La Mort foule aux pieds une tiare pontificale, une mitre d'évêque, un heaume de chevalier et un spectre : vanité du pouvoir ! idée à retrouver par exemple dans la Vanité avec couronne d'Evert Collier.

Ivoire sculpté de 53 cm de haut. L'artiste anonyme s'est inspiré d'une gravure de la "Fabrica" d'André Vésale (1514-1564) dont la légende invite à méditer sur la condition humaine : Vivitur ingenio caetera mortis erunt. ("C'est par l'esprit que l'on vit, le reste appartient à la mort").

 

 

Les Origines des Vanités
 
Les Vanités ont une origine complexe, et à rechercher principalement dans la tradition chrétienne. Si l'on commence par la présence du crâne, ou des ossements, on relie cet aspect des vanités à la danse macabre popularisée à partir du XIV° siècle, où l'on danse main dans la main avec la Mort.
 

Hans HOLBEIN - Danse macabre - extrait - c.1525.

 

Des triptyques ou dyptiques des XV°–XVI° siècles apportent aussi leur contribution aux origines des Vanités. Non pas dans le sujet principal, plutôt sur l'extérieur des volets. En voici trois exemples. Dans le premier, un sablier accompagne le crâne, formant quasiment la base du sous-genre. Dans le second, le crâne s'appuie sur une brique en voie d'effritement, signe du temps qui passe, comme avec le sablier précédent.
 

Volet de triptyque, XV° s.
 

Rogier van der WEYDEN (c.1400-1464) - Triptyque (fermé) de la famille Braque.
1450, Musée du Louvre, Paris

 

Dans ce troisième exemple, Jan GOSSAERT dit Mabuse représente à la fois le chancelier Carondelet avec son épouse et le crâne à côté de leur blason. Variante sur le thème recto-verso.

Jan GOSSAERT (1478-1532) : Dyptique Carondelet, 1517.
 
 
On a aussi noté l'introduction du texte, et par là de la culture chrétienne et/ou humaniste. Par la suite, les compositions d'éléments inanimés constitués d'objets culturels accompagnent les représentations de Pères de l'Eglise ou de saints dans leur cabinet d'études (ou studiolo).
 
 
Vittore CARPACCIO (1460-1526) - La vision de saint Augustin (détail)
1502 - San Giorgio degli Schiavoni, Venise
 
Le tableau de Carpaccio montre saint Augustin dans son cabinet d'études. Le saint homme, en qui la tradition reconnaît l'humaniste que fut le cardinal Bessarion, a une vision mystique. Mais tout autour de lui se disposent livres, instruments scientifiques, partitions de musique. Cette acumulation des choses n'est pas née en 1500.

Déjà, à partir du Trecento, les artistes avaient commencé à disposer des objets, comme dans des boîtes, en marge de leurs compositions, pour leur donner plus de vérité et pour jouer sur une signification symbolique (6).
 
Le Maître du Livre d'Heures de Marie de Bourgogne
Le Christ cloué sur la croix
vers 1475-80 -  Österreichische Nationalbibliothek, Wien
 
 
On assista, parallèlement à l'essor des Vanités et natures mortes, à l'essor de l'art difficile du trompe-l'œil. Le tableau de vanités lui est redevable de son souci de faire illusion d'authenticité.
 
                   
                Georg FLEGEL - Trompe-l'œil -  1610 - Galerie nationale, Prague
 
 
Dès le milieu du XVI° siècle, le maniérisme utilisa une multitude organisée d'objets : fleurs, fruits, poissons. C'était le thème de la table bien garnie d'une profusion de victuailles pour la satisfaction des sens. Il faut reconnaître que bien des natures mortes (ou Still Life), malgré une qualification de "vanitas", ne font que reprendre cette foule d'éléments décoratifs, par exemple avec les tableaux de fleurs de Daniel Seghers ou d'Ambrosius Bosschaert, comme avec les étalages de légumes, de fruits, de poissons, œuvres de Franz Snyders ou d'Osias Beert.

C'est pourtant l'agencement de ces différents éléments qui permet de constituer la vanité, toujours marquée par cette fascination du détail que l'on rejetterait plus tard, dès le temps des Lumières. (7)

 


1. Les Vanités des Hollandais


Vanité anonyme, XVII° siècle

Outre la pendule figurée pliée qui fait penser aux montres molles de Salvador Dali, cette Vanité anonyme présente un intérêt… linguistique. On note en effet des inscriptions en néerlandais et non plus en latin. C'est que les habitants des Provinces-Unies, calvinistes pour l'essentiel, tenaient à se démarquer de l'Eglise romaine fidèle au latin.

 

Quatre grands foyers de création picturales existaient aux Provinces-Unies : Amsterdam, Delft, Haarlem et Utrecht, et cette école hollandaise du XVII° siècle n'était pas principalement connue pour ses Vanités, comme le montrent les célèbres œuvres de Rembrandt (1606-1669). Mais avant de s'illustrer à Amsterdam, c'est à Leyde que ce peintre apprit à peindre, et cette ville est attachée au souvenir de plusieurs peintres, mais pas seulement de Vanités, ainsi Gerrit Dou qui fut l'élève de Rembrandt, Jan Steen, Gabriel Metsu, Frans Van Mieris, ou encore Willem Van de Velde. Gerrit Dou et David Bailly y passèrent toute leur vie. D'autres s'y établirent et y moururent, tel Herman Steenwijk.

Leyde a vu se constituer un foyer actif, notamment après la création de l'Université en 1575, puisque Guillaume le Taciturne récompensa de la sorte une ville qui avait résisté aux assauts catholiques. Gerrit Dou et d'autres furent les fondateurs de la guilde des peintres de la ville ; ils créèrent en 1648 l'école des "FIJNMALER" c'est-à-dire des peintres raffinés, ceux dont les peintures sont si appliquées que les coups de pinceaux sont indécelables.
 

Jacob de GHEYN - Vanitas Still-Life
1603 - Metropolitan Museum, New York

 

Toutes les vanités ne sont pas œuvres des peintres de Leyde! L'anversois Jacob de Gheyn inaugure cette série de vanités du Siècle d'Or de la peinture hollandaise par le premier "memento mori" qui nous soit parvenu (8). Le tableau fonctionne comme un portrait, puisque le crâne est la principale figuration. Le crâne est surmonté d'une sphère où se reflètent divers objets, le monde en quelque sorte ; il est disposé dans une niche dont la clef de voûte contient l'inscription "Humana Vita", car les peintres cherchent souvent à orienter l'interprétation de l'œuvre par un texte bref et significatif. Autour de la niche, des philosophes sont placés dans les angles supérieurs : philosopher, n'est-ce pas apprendre à mourir ? La tulipe est présente, c'est la fragilité de la vie humaine, plus que l'allusion à la spécialité locale.


Mais le premier grand spécialiste du sujet semble être Pieter CLAESZ (1597-1661) qui est originaire de Westphalie et s'est installé à Haarlem en 1617, au cœur des cultures de tulipes. La spéculation sur les oignons de tulipes aboutit au premier krach en 1636 ; Claesz se fit appeler Nicolaes Tulp… mais ce sont des œillets qui figurent la vanité de Dresde. Claesz peignit plusieurs vanités et natures mortes ; outre la Vanité reproduite ci-dessus dans la section "1. Définition", trois ont été sélectionnées pour la période 1624-1630, conservées à Dresde, La Haye et Amsterdam.


Celle de Dresde, ci-dessous, ne comporte pas de crâne mais d'assez nombreux éléments habituels de la vanité : verres, montre, orfèvrerie, nautile, petits coquillages comme ceux d'un cabinet de curiosité ; les objets sont placés sur une console de marbre, disposition héritée du principe de la niche (cf. Gheyn).

 

Pieter CLAESZ - Nature morte au grand gobelet en or
 1624, Gemäldegalerie, Dresden

Noter aussi le sujet dans l'arrière-plan, comme dans plusieurs tableaux contemporains, par cette "nature morte inversée" ou 'image dédoublée", la nature morte est insérée dans le vivant (9). Autre procédé significatif, le rideau, à la fois fond sombre qui permet de faire ressortir les objets (comme dans Les Ambassadeurs de Hans Holbein), et surtout dévoilement du sens, comme dans la vanité de Johannes Cuvenes.

Il convient aussi de souligner la tendance à la répétition des objets, ici des coquillages. "Accumuler les objets, s'en faire une forteresse, bâtir une muraille d'objets inertes et silencieux pour ne pas voir la nuit du monde et ne rien entendre de sa rumeur, tel est le projet mélancolique de qui, sous la richesse apparente, n'entretient jamais que le goût amer de la solitude…" écrit Jean Clair à propos du tableau "La Vue" de Jan Brueghel dit de velours (1617, Musée du Prado, Madrid)(10).

 

Pieter CLAESZ - Vanitas Still-Life
1630, Mauritshuis, La Haye

On remarquera ici que le crâne est accompagné d'un tibia, que la bougie est éteinte, que le verre est vide, que les feuilles du livre sont abîmées par un long usage. La plume est posée loin de l'encrier. Tout est terminé.
 

 Pieter CLAESZ - Vanité au tireur d'épine - 1628, Rijksmuseum, Amsterdam.

Ici, moins d'austérité. Les arts sont davantage présents avec des instruments de musique au premier plan, mais pas de partition. Et, à côté de l'armure, une gravure montre un nu féminin. En arrière-plan une palette et le matériel du peintre. Sur la table, la statue d'un personnage non pas en pleine méditation mais en train de s'enlever une épine du pied.

 
De nombreux autres artistes néerlandais se sont spécialisés dans les Vanités. Ainsi Willem Claesz HEDA natif de Haarlem où il travailla toute sa vie, et présida la guilde de Saint-Luc.
 

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Willem Claesz HEDA (1594-1680)
Vanitas - 1628, Collection Bredius, La Haye

Avec cette œuvre de W.C. Heda, célèbre pour ses natures mortes, on voit apparaître d'autres plaisirs de la vie : la pipe, les friandises dans la coupe.
 
Natif de Delft, Harmen STEENWIJCK avait étudié la peinture à Leyde chez son oncle David Bailly qu'on retrouvera plus loin.
 

Harmen STEENWIJCK  (1612-1656)
Vanité -  1640, Stedelijk Museum De Lakenhal, Leyde

 

Simon Luttichuys, né en 1610 à Londres et décédé à Amsterdam en 1661 travailla lui aussi à des vanités selon le modèle de Leyde, c'est-à-dire avec une table sur laquelle sont agencés des objets en relation avec la culture humaniste (livres fermés ou ouverts sur des planches illustrées) avec d'autres objets à proximité (tableaux au mur ou comme ici miroir sphérique suspendu au plafond). Ultérieurement, cet artiste, s'éloignant des vanités, a produit de nombreuses natures mortes.
 

Simon LUTTICHUYS (1610-1661) Vanité avec crâne (n°1) - 1645
Huile sur bois. Vente Sotheby's 12-2004


 

Simon LUTTICHUYS Vanité avec crâne (n°2) - ca.1635-40
Museum of Fine Arts, Houston (Texas)

Il existe une œuvre identique au Musée de Gdansk. On voit à gauche que la page de titre du livre est daté de 1611 (M DC XI). Le miroir sphérique démontre l'art de Luttichuys : le peintre à son chevalet avec une femme à ses côtés :

   

Outre les portraits, les deux œuvres de Luttichuys comprennent un globe terrestre, objet que l'on retrouvera sur des vanités d'Evert Collier ou du flamand Cornelis Gijsbrechts.

 

N.L. PESCHIER né en Ardèche vers 1600 et mort à Amsterdam en 1661 a laissé cette Vanité conservée au Rijksmuseum d'Amsterdam. On distingue à droite le sablier.

Ci-dessous, une version voisine au Musée d'Art de Philadelphie. 

Dans ces deux compositions de N.L. Peschier figurent des partitions. Derrière le crâne un globe terrestre et plus haut une tête sculptée qui fait le pendant d'une gravure. 

 

Auteur de compositions complexes, Evert Collier s'est installé à Leyde en 1667 et y devint membre de la guilde de Saint-Luc six ans plus tard. Il a été l'un des principaux créateurs de Vanités, toutes caractérisées par le détail de l'exécution, et la profusion des détails comme des citations. 

 

Evert COLLIER (Breda c.1640-Londres 1708)
Vanitas (Vita brevis, ars longa) - 1672

 

Il rappelle, par son insistance sur les globes, les livres et les cartes, la puissance de l'économie hollandaise, (cf. titre "Hollandt" bien visible) qui elle aussi serait éphémère malgré la Compagnie des Indes orientales. A l'arrière-plan le drapeau orange de la famille du stathouder.
 

Evert COLLIER
Vanité avec deux globes (céleste et terrestre)

Evert Collier émigra ensuite à Londres où il continua à peindre des vanités et aussi des trompe-l'œil. Il y  mourut en 1708. Certaines vanités sont attribuées à son atelier. 

 

Evert COLLIER. Vanité avec une fleur signée et datée 1700. 

 

Evert COLLIER - Vanité avec une couronne. 1705. 

Sur le livre : Sic Transit Gloria Mundi. C'est le thème de la fragilité même des richesses et du pouvoir.

 

Atelier d'Evert COLLIER. Vanitas still Life. Avec un nautile, un chandelier, une montre... 64 x 58 cm. Vente Christie's, 2005. L'inscription « Homo est similis bullae » fait écho aux bulles de savon. 

 

Des vanités avec personnages

Si les vanités précédentes relevaient toute de la nature morte, en réalité un personnage, ou davantage, pouvait se trouver dans l'œuvre.

Ainsi le thème de la femme à la toilette traité par Jan Miense Molenaer  (Haarlem 1610-1688) renvoie à la fois à la femme au miroir et à la Vanité puisque le crâne est présent — mais au pied de la dame, pas à portée de sa main. 

 

Jan Miense MOLENAER - Femme à sa toilette / Allégorie de la vanité. 1633, Musée des Beaux-Arts de Toledo, États-Unis. 
 

David Bailly (1584-1657) se forma à Leyde, sa ville natale, et Amsterdam. Il me semble le seul auteur d'un autoportrait qui soit en même temps une Vanité. Après un périple à Venise et Rome, il entama une longue carrière de portraitiste, des étudiants et professeurs de l'université calviniste de Leyde formant une partie de ses sujets. Ce qui peut expliquer l'abondance des représentations humaines sur cette œuvre que Bailly signe à 67 ans et qui est présentée comme son autoportrait.
 
 

David BAILLY - Autoportrait avec les symboles de la vanité
1651, Stedlijk Museum De Lakenhal, Leyde


Sur la toile, le peintre tient un portrait d'homme que la bougie sépare du portrait d'une femme, peut-être l'épouse décédée. La flûte remplie de vin blanc, c'est la plaisir de la dégustation ; mais elle indique aussi la fragilité du cristal. D'autres verres, des livres, une sculpture, une pipe, un collier, des roses, mais aussi un couteau, entourent une bougie dont la position est centrale et qui indique la fuite du temps.


Considérons ensuite des œuvres de Jan VERMEULEN (ou van der Meulen) né à Haarlem en 1638 et mort en 1674.

 

Jan VERMEULEN - Vanité -  Musée des Beaux-Arts de Nantes

 

Dans cette nature morte qui est une vanité sans crâne, Vermeulen a cependant placé un sablier (à gauche, derrière le livre refermé), des écrits et imprimés comme chez Evert COLLIER, avec ici un livre ouvert sur une écriture illisible), une flûte, etc... La composition repose sur une table recouverte d'une nappe.

 

Jan VERMEULEN. Vanitas Still Life. Datée 1654 sur la partition (couverture bleue) avec les inscriptions "Mors omnia vincit" et "Vanitas vanitatum et omnia Vanitas" (Ecclésiaste, 1,2). Collection privée, vente Sotheby's, 2013. 

 

Jacques Adolphsz. de CLAEUW. Vanitas Stillleben. 1679.Huile sur bois, 52 x 64 cm. Kunsthalle Karlsruhe.

 

Jacques de CLAEUW. Vanitas. Rijksmuseum Amsterdam. Des livres, un violon... pour cèe peintre originaire de Dordrecht en 1623 et mort à Leyde en 1694.

 

Originaire de Rotterdam, Gerritt Van VUCHT (1610-1697) affectionne aussi les livres dans ses natures mortes et Vanités.

Gerritt VAN VUCHT - Vanité avec des livres, un crâne, un bougeoir, une carafe... Oxford, Ashmolean Museum.

 

Gerritt VAN VUCHT - Vanité. Coll. particulière. Exposition From Rembrandt to Parmigiano au Milwaukee Art Museum en 2016..

 

G. VAN VUCHT - Vanitasstilleven - 1677. 
Huile sur panneau de bois de 9,3 x 12 cm. Rijksmuseum, Amsterdam.
 

Une nature morte qui est une vanité puisque l'on remarque un crâne au milieu du tableau et que la fuite du temps est compétée par le sablier et par l'usure des pages de deux livres. Vanité que tout ce savoir au coeur des autres livres posés sur la table comme sur une étagère !
 

Pour terminer cette partie consacrée à l'école hollandaise, avec Joachim WTEWAEL (Utrecht 1566-1638) pour un regard à la peinture mythologique dans la mesure où il y a ici reprise du thème du crâne, au pied de la belle captive, ceci évoquant la vanité du Maître M.Z. Étant donné le paysage marin, cette version utilise la collection de coquillages de manière moins surprenante que dans la vanité de Pieter Claesz.

 

undefined    Joachim WTEWAEL Persée délivrant Andromède
1611, Musée du Louvre, Paris

 

Le graveur allemand Matthäus Zasinger (1477-vers 1533) dit Maître M.Z. - Louvre, Département des Arts graphiques.

 

 

2 - Les Vanités des Flamands

 

Atelier de Joost van der Beke dit Joos VAN CLEVE (1485-1540) du nom de sa ville natale. Il rejoignit la guilde des peintres d'Anvers. Ce "Saint Jérôme à l'étude", une huile sur bois de 94 x 69 cm, précède d'une centaine d'années la grande vogue des Vanités : crâne, chandelle, livre, inscription : tout y est déjà, avec la promesse de la vie éternelle pour qui se prépare à mourir. (Collection particulière, Vente Koller, 2017).

 

 

Hendrick ANDRIESSEN ou Andriezsoon (1607-1655) est un peintre flamand,  natif d'Anvers, également connu sous le nom de Mancken HEYN, apprécié pour ses vanités et natures mortes "tabagiques" (toebackjes) montrant des ustensiles pour fumer le tabac.

 

Hendrick ANDRIESSEN. Vanité au verre Roehmer brisé. Vers 1630-40. Vente Christie's.

 

Hendrik ANDRIESSEN (jadis attribué à David BAILLY)
Vanité avec le portrait d'un serviteur
1650, Herbert F. Johnson Museum of Art, Cornell University, Ithaca
 

Un serviteur noir habillé avec élégance porte au cou un collier en or, signe de fidélité à son maître, commanditaire du tableau, dont il brandit le portrait miniature tout en le fixant des yeux. Le crâne est situé au centre de la composition. Tout autour s'organisent de multiples symboles de la vanité. D'abord la musique avec un luth et une flûte ; la beauté de la nature (les quelques fleurs) ; les arts plastiques (la palette, les brosses, la petite sculpture) ; les divertissements (les dés, les cartes, la pipe). Les bulles disent que tout est éphémère ; on les retrouve dans l'œuvre suivante. 

 

Hendrik ANDRIESSEN. Still life with skull, mask and globe. bubbles. 1640-50. Ashmolean Museum, Oxford.

 

Autre peintre flamand, Cornelis Norbertus GYSBRECHTS (aussi : Gijsbrechts) est né à Anvers dans les années 1625-29, ville dont il a rejoint la Guilde de Saint-Luc, mais il a exercé aussi au Danemark à la cour de Frédéric III et Christian V.

Comme dans la Vanité précédente d'Andriessen, Gysbrechts a placé l'œuvre suivante un personnage, mais qui ne se remarque pas d'emblée, à peine visible à la gauche de l'image.

 

Cornelis GYSBRECHTS. Vanité au jeune Maure présentant une montre. 

 

Cornelis GYJSBRECHTS - Vanitas
Après 1650. Musée des Beaux-Arts d'Anvers

 

Cornelis GYJSBRECHTS - Vanité. Une version assez voisine de la précédente, mais au Musée des Beaux-arts de Strasbourg, et sans globe terrestre. L'originalité des vanités de Cornelis Gysbrechts passe entre autres par l'emploi de documents avec un sceau, et de livres imprimés. Les épis de blé coupés se retrouvent sur les tableaux suivants, n'oublions pas la Mort comme une faucheuse !

 

 

Cornelis GYJSBRECHTS - Vanité, 1650. (Localisation inconnue). Le temps fatal c'est aussi le papier froissé. Surtout, on constate le remploi d'éléments de l'œuvre précédente : le crâne est le même, le livre, ainsi que la boîte dorée. De là vient l'impression d'une sorte de production en série avec des options... 

 

Sa "Vanitas still life" du Museum of Fine Arts de Boston, qui daterait des années 1667-1668, comprend un sablier renversé et une montre avec son ruban rouge, symboles du passage du temps. Il y a ici un recours intéressant au trompe-l'œil : la toile qui semble se décoller du cadre est un effet inédit pour représenter la finitude ; même l'art, qui passe pour défier le temps, aurait donc la même fragilité que toutes les choses humaines.

 

Cornelis Gyjsbrechts encore. Le recours au trompe-l'œil se retrouve ici. Avec la coquille de nautile, objet répandu dans les illustrations du XVI° siècle. 

    

Pieter BOEL (1622-74) Allégorie des vanités du monde - 1663 - Musée des Beaux Arts, Lille

 
Pieter BOEL est natif d'Anvers. Après un voyage en Italie il s'établit à Paris rejoignant Charles Le Brun aux Gobelins. Le peintre nous montre tous les attributs de la richesse (objets précieux, fourrure d'hermine, plateau d'orfèvrerie à sujet mythologique), du pouvoir (tiare pontificale, turban...), et du plaisir d'apprendre (mappemonde). Mais derrière ce beau décor, le sarcophage rappelle la futilité des biens matériels aussi somptueux soient-ils. (Plus de détails sur le site du Musée des Beaux Arts de Lille).
 

Johann de CORDUA (1630-1702). Vanité au buste. Musée des Beaux-Arts de Pau.  Né à Bruxelles, ce peintre flamand a travaillé à Vienne et est mort à Prague.

 

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SUITE : 

Vanités d'artistes français

Vanités d'artistes rhénans

Vanités d'artistes espagnols...

Vanités d'artistes espagnols.
Rareté des vanités d'artistes italiens
La Vanité revisitée : XIX - XXIe siècles.


 

NOTES
(1) Dictionnaire des courants picturaux, Larousse, 1990. Article "nature morte" pages 240 à 252. En 1667 le critique Félibien disait "choses mortes et sans mouvement".
(2) Idem. Larousse, 1990. Article "vanité", pages 427-429.
(3) Jacques Duquesne, L'histoire de l'Eglise à travers 100 chefs-d'œuvre de la peinture, Presses de la Renaissance,2005. Page 16.
(4) Idem. Suite à ce bûcher, Sandro Botticelli dont l'œuvre était jusque-là fort éloignée de la bigoterie (cf. Le Printemps, ou la Naissance de Vénus) abjura ses "erreurs" pour se consacrer à un art plus religieux. Sur Savonarole compte-rendu du livre de Pierre Antonetti dans ce blog.
(5) Jacques Duquesne, op.cit. Le paon, qui est symbole d'orgueil, peut être remplacé par des chiens de race, bichon, lévriers.
(6) Victor Stoichita, L'instauration du tableau, Droz, 1999. Pages 38-42 sur les miniatures du Maître de Marie de Bourgogne. On parle de "marginalia" pour désigner ces images dans les marges du tableau.
(7) Le "Dictionnaire des Beaux Arts" publié à Paris en 1806 par A.L.Millin exprime ainsi le rejet du détail : "Dans l'enfance de l'art, les peintres copient avec soin les détails (…) L'art, dans sa force, ne s'attache qu'au grand, et néglige tout ce qui peut l'en écarter ou l'en distraire". Cité par Daniel Arasse, "Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture", Flammarion, 1996, coll. Champs.
(8) Selon Victor Stoichita, L'institution du tableau, op. cit. Pages 50-51.
(9) Idem. Chapitre "Embrasures" avec comme illustrations : Pieter Aertsen, Le Christ chez Marthe et Marie, 1552, où l'essentiel du tableau est occupé par des victuailles, ainsi que Vélasquez, même titre, c.1620, avec là encore des victuailles au premier plan.
(10) Jean Clair (éd.), Mélancolie. Génie et folie en Occident, catalogue de l'exposition, RMN et Gallimard, Paris, 2005, pages 202-203.
(11)Voir le site de Gary Schwartz.
 
Présentation revue en février 2025

 

SUITE (Vanités - 2 - Artistes français, rhénans, espagnols, italiens...)

Tag(s) : #VANITÉS, #BEAUX ARTS
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