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  5 - Les vanités des peintres espagnols

 

Juan Francisco CARRION (1626-1680). Galeria Caylus, Madrid.

 

Peintre spécialisé dans les natures mortes, Juan Francisco Carrión a peint cette vanité au crâne accompagné d'une mandibule qui ne porte plus que deux molaires, d'un livre à moitié lu, d'un chandelier qui n'éclaire plus et d'un phylactère qui proclame : «Hic est liber generationis Adami ». 

 
Antonio de PEREDA Y SALGADOSaint Jérôme
1643, Musée du Prado, Madrid
 

Ce premier tableau d'Antonio de Pereda montre un saint Jérôme âgé en méditation. On peut l'opposer à la Marie-Madeleine de La Tour ou de Domenico Fetti : au lieu de fixer le crâne, le regard est tourné vers le ciel. La trompette annonce le Jugement dernier. Le livre ouvert est orienté vers le spectateur, non vers saint Jérôme, afin que l'image christique soit bien comprise, artifice qui rappelle ce que d'autres artistes ont signifié en recourant au texte, et une croix sommaire est posée sur le Livre.

 

Antonio de PEREDA Y SALGADOAllégorie de l'éphémère
c.1634, Kunsthistorisches Museum, Wien

La Galerie des Offices à Florence possède une autre vanité de Pereda, datée de 1668. Comme dans l'Allégorie ci-dessus, on retrouve un médaillon représentant le portrait de Charles Quint. L'empereur est ici placé sur le monde, mais le vaste empire fut éphémère. Par ailleurs, ce tableau est intéressant par sa composition : d'un côté la puissance et les richesses au-dessus du coffre, de l'autre les images de la mort : crânes, sablier, fusil, lampe éteinte.

Antonio de PEREDA Y SALGADO Le rêve du roi
c.1650, Real Academia, Madrid

 Encore une allégorie ailée, encore une pendulette en forme de tour de l'horloge, encore des armes. Mais on note le glissement de la méditation vers le sommeil et le rêve. Et pour la première fois, un masque de comédien.

 
Antonio de PEREDA Y SALGADONature morte à la pendule
1652, Musée Pouchkine, Moscou
 
Cette œuvre de Pereda utilise le principe de la collection de coquillages, comme dans le tableau de Pieter Claesz à la Gemäldegalerie de Dresde. L'âge des vanités est aussi celui des mirabilia et naturalia. Passé l'âge des vanités, des peintres seront tentés par la représentation de collections scientifiques.
Les deux œuvres espagnoles suivantes sont radicalement différentes. Le peintre sévillan a réalisé ces deux allégories des fins dernières pour la chapelle de l'Hôpital de la Charité (la Caridad), où elles sont restées. Et ces toiles sont très noires alors que Valdès Léal est plutôt un coloriste. 
 
Et puis Théophile Gautier fut inspiré par ces chefs-d'œuvre (extraits) (14) :
 
A Séville on fait voir, dans le grand hôpital,
Deux tableaux singuliers de Juan Valdès Léal.
Ce Valdès possédait, Young de la peinture,
Les secrets de la mort et de la sépulture (…)
Un vrai peintre espagnol, catholique et féroce,
Par la laideur terrible et la souffrance atroce (…)
 
 
               
Juan de VALDES LEALFinis Gloria Mundi
1670, chapelle de l'Hôpital de la Charité, Séville
 
 
             
 Juan de VALDES LEALIn Ictu Oculi - 1670 
chapelle de l'Hôpital de la Charité, Séville. 
 
 
 Par cette œuvre de Pereda se termine cet aperçu des vanités hors de Hollande. Il est évident que ce sous-genre est resté principalement lié aux peintres d'un pays donné et d'une époque donnée : la Hollande calviniste du XVIIème siècle.

 

6 - Rareté des Vanités italiennes

 

Peu de peintres italiens dans cette histoire des vanités. L'Italie de la Contre-Réforme est fidèle aux représentations religieuses traditionnelles, aux grands sujets mythologiques et d'histoire. La Papauté continue d'exercer une action de mécène. L'art jésuite triomphe. Néanmoins, deux artistes sont présents : Fetti et Cagnacci.

 

Domenico FETTI - La Mélancolie (ou La Méditation) 179 x 140 cm. Huile sur toile. 1618. Galerie dell'Accademia, Venise. 

 

Autre version différant surtout par l'arrière-plan :
Domenico FETTIVanité. 1623, Musée du Louvre
 

Avec cette œuvre de Domenico Fetti ou Feti né à Rome vers 1589 et mort à Venise en 1623, on assiste à la fusion du portrait de Marie Madeleine pénitente (cf. La Tour) avec la Vanité. Les yeux mi-clos elle fixe du regard le crâne et a comme oublié le livre qui est dessous, le globe céleste, la palette et les pinceaux, le livre ouvert à terre, le chien même, et aussi le paysage. Celui-ci n'apparaît qu'au-delà de murs ruinés qui anticipent sur le culte romantique des ruines. Le sens est évident : toute l'activité humaine, pratique, théorique, ou artistique, est vaine (13).

 

 
Guido CAGNACCI (1601-1663)
Allégorie de la vie humaine
 
 
Guido CAGNACCIAllégorie de la Vanité et de la Pénitence
Musée des Beaux-Arts, Amiens
 

Guido Cagnacci, élève de Guido Reni, a surtout peint des allégories plutôt que des Vanités. Après un voyage à Venise, il finit ses jours à Vienne où il travailla sur le thème de la Mort de Cléopâtre.

 

7 - La Vanité revisitée du XIXè au XXIè siècle

 

Dès le XVIIIème siècle, les vanités tendent à disparaître sous l'effet de l'évolution du goût, de la civilisation des Lumières, voire de la laïcisation de la société. Les natures mortes ont proliféré.

 
Le XIXe siècle finissant
 
 
En 1866, au début de sa carrière Paul Cézanne s'inscrit dans une tradition qui fêtait son bi-centenaire. L'artiste qu'on a souvent qualifié d'inventeur de la peinture moderne ne s'en est pas tenu à cette "citation". 

Cezanne.jpg

Paul CEZANNE  (1839-1906) - Nature morte, crâne et chandelier (1866). Collection particulière

Le XIXe siècle fut très pauvre en vanités proprement dites : le crâne tend à l'emporter. Aux deux bouts du siècle, Géricault et Cézanne le représentent en triple exemplaire. Ce dernier peint trois crânes comme il peindrait trois pommes. Purs objets sans transcendance. 

Paul CEZANNE Nature morte - Detroit Institute of Arts, Michigan

 

A la fois plus classique et plus inventif, voici une œuvre de jeunesse de Paul Ranson avant de rejoindre le mouvement des Nabis.
 
Paul RANSON - La Vanité aux souris - 1885
Musée de l’Évêché de Limoges
 
 
La Grande Bretagne victorienne n'ignora pas non plus cet héritage séculaire de la vanité. Voici par exemple, l'œuvre d'un peintre typique de l'ère victorienne :
 
John William Waterhouse
1902 - La boule de cristal 
 
  La boule de cristal de Waterhouse indiqua-t-elle à la femme en rouge les catastrophes qui allaient suivre ?… Le XXe siècle a vu se multiplier les représentations du crâne. Dans ce siècle des massacres de masse et des génocides, on comprend la prolifération de l'image du crâne, d'un art communément macabre mais pas nécessairement funèbre. Mais ce n'est pas cette  mémoire précise des drames que le crâne contemporain, je veux dire post-moderne, entend célébrer. Il n'est pas constitutif d'un mémorial : je n'en ai pas vu chez Anselm Kieffer par exemple, lui qui me semble être par excellence l'artiste tragique de notre temps. Qu'on le qualifie de kitsch, de punk, de pop art et de "grand n'importe quoi" — pour reprendre une expression trop souvent entendue ? — le crâne nouveau est omniprésent, il sert à tout. Donc à rien ? Son image prolifère, grave ou rieuse, comme un gadget, en accord avec la marchandisation nihiliste généralisée. (16).
 
Cent ans plus tard…
 

Jean-Michel BASQUIAT : Untitled (Black Skull), 1982

 

Aujourd'hui, le thème de la vanité inspire toujours les créations d'artistes contemporains. Certains reprennent les vanités du XVIIe siècle. D'autres ouvrent des perspectives différentes. La peinture, la sculpture et la photographie contribuent également à faire vivre cette tradition…
 
 
 Michele MATOSSIAN  (États-Unis)
Vanitas and Vermeer
 
 
      
Gérard WILLEMINOTVanitatum - 2000
Galerie Graal, Toulouse
 
 
 Emil SCHILDT (phtographe danois né en 1958)
Vanitas (2000)
 
 
Genevieve-Van-der-Wielen.png
Née en Belgique en 1954, Geneviève Van der Wielen a peint de nombreux nus mais n'a pas échappé au thème de la vanité avec ce crâne placé entre la belle et son miroir dans un graphisme épuré.
 
 
 Jeffrey WALL  (États-Unis)
Vanitas 3D
 
 

Gianrico GUALTIERI - Vanité avec Cupidon qui tend son arc. 2020. Huile sur bois. Un peintre napolitain né en 1962 qui réalise des œuvres dans le style du XVIIe siècle.

 

Guido MOCAFICOVanité et objets de musique 2007. Photographie

 

Guido MOCAFICO - Allégorie de la caducité. 2007. Photographie, 79 x 53 cm.

 
 

Pour terminer, place à l'artiste russe Dimitri TSYKALOV né en Russie en 1963. Son œuvre pastiche celle de Philippe de Champaigne qui commençait notre présentation; elle a été exposée à la Galerie Rabouan Moussion à Paris.

 

Dimitri TSYKALOV, Memento Mori, 2019,

Assemblage de caisses de munitions, 114 x 150,5 x 8,5 cm

 

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EN GUISE DE CONCLUSION

 

La mode des vanités s'inscrivit surtout dans le Siècle d'Or hollandais du XVIIe siècle. Elle était liée à une religiosité particulière qui explique les formats de petite taille pour une dévotion personnelle ou familiale avant d'être une peinture décorative. Le sous-genre vanité était évidemment moins connu que les chefs-d'œuvre incontestables de Rembrandt. 

Aujourd'hui la Vanité revit. L'exposition du musée Maillol (fév.-juillet 2010) en donne la démonstration, tout en insistant sur la perte du sens humaniste de la vanité. Que l'on dise "memento mori" ou "tout est vanité…", ne pas oublier que l'essentiel c'est "carpe diem" !

La dernière exposition sur le thème des Vanités est pour l'heure celle du Musée des Beaux-Arts de Lyon en 2022. Cliquer ICI pour en avoir un aperçu.

 

 

————————————— NOTES ——————————————

 

 

(12) Voir le site Internet de l'histoire du Protestantisme

(13) Cf. Saturne et la Mélancolie, Bibliothèque des Histoires, Gallimard, 1989. Chapitre consacré à l'héritage artistique de la gravure Melancolia I de Dürer.

(14) Théophile Gautier, España, 1845.

(15) Voir note du Département des Peintures du Louvre (lien).

(16) Voir sur ce site note sur le livre d'Élisabeth Quin "Le livre des vanités" et une note sur une exposition de 2010 au Musée Maillol sur le thème des crânes

 

————————————— À consulter ————————————

 

• LANINI (Karine), Dire la vanité à l'âge classique. Paradoxes d'un discours, coll. « Lumière Classique », Paris, Champion, 2006.Site de Karine Lanini sur l'iconographie macabre dans la Généalogie des vanités.
 

• TAPIE (Alain), " Les Vanités dans la peinture au XVIIe siècle ", cat. exp. Paris, Petit Palais, 1991.

 

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Tag(s) : #BEAUX ARTS
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