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Voilà un roman familial dont la particularité est de réunir des Russes et des Allemands. Le récit commence et se termine en 2001 après avoir embrassé un demi-siècle d’histoire. C’est aussi une allégorie de l’histoire de la RDA, de ses origines à sa disparition : « Quand la lumière décline » où comment l’idéal communiste du vieux Wilhelm Powileit, repris par son fils Kurt, disparaît avec la génération suivante, celle d’Alexander qui passe à l’Ouest en 1989 au lieu de venir fêter l’anniversaire de son grand-père. Et en même temps, c’est la vie de Charlotte qui année après année se donne tant de mal pour préparer la fête de Noël et l’anniversaire de son mari chaque 1er octobre.
Autrefois Wilhelm avait été l’un des premiers communistes à rejoindre le parti de Thälmann. Il avait eu une modeste fonction au Komintern. Il avait épousé Charlotte, veuve du professeur Umnitzer dont elle avait eu deux fils, Werner et Kurt. Le nazisme contraignit le couple à l’exil, en France, puis au Mexique où il se consacra à la presse anti-nazie. Après la guerre, un ami cadre du nouveau régime permit leur retour en Allemagne, pour occuper des emplois liés à l’organisation de la SED, le parti communiste qui gèrait la RDA. De leur côté, Werner et Kurt vivaient en Union soviétique et ils avaient été internés en Sibérie. Werner mourut au goulag ce dont Wilhelm évite de parler. Kurt rentra en Allemagne avec son épouse russe, Irina, et devint un historien officiel du mouvement communiste, publiant entre autres travaux un essai sur l’exil de Lénine. Lui non plus ne voulait pas aborder les crimes du stalinisme. C’est ce que son fils Alexander lui reprochera, au moment de passer à l’Ouest juste avant la chute du Mur de Berlin — et de la RDA. Quant au fils d’Alexander, Markus, ses préoccupations n’auront plus rien à voir avec le passé communiste de son grand-père.
Wilhelm, Charlotte et Kurt sont les personnages les plus étudiés, suivis d’Alexander, d’Irina et de sa mère Nadejda venue s’installer sur le tard chez sa fille et son gendre, mais incapable de s’adapter à un environnement non-russophone. Caricaturalement, l’auteur la représente attachée à ses conserves de cornichons. Eugen Ruge ne rend aucun de ses personnages vraiment sympathique. Ce ne sont pas des héros ! Il insiste davantage sur leurs habitudes et leurs travers. Wilhelm et Charlotte sont les plus caricaturés, elle avec son addiction à l’alcool, et surtout lui avec ses blagues tordues dont on ne sait si elles viennent de son affaiblissement intellectuel ou d’un humour décalé, tel son « Portez ces légumes au cimetière !» quand Nadejda lui offre des cornichons.
Tous les chapitres renvoient à des dates associées au point de vue d’un personnage, et à six reprises à l’anniversaire de Wilhelm vu par les différents participants, un effet de boucle qui caractérise bien la structure de ce roman. L’incipit est la dernière rencontre entre Alexander et son père Kurt atteint par la maladie d’Alzheimer alors qu’Alexander est lui aussi atteint d’un mal incurable et décide d’aller terminer ses jours au Mexique, au bord du Pacifique, sans doute est-ce là le seul aspect de l’héritage de ses grands parents qui se manifeste. Il a aussi emporté le jeu d’échec de son père.
Eugen Ruge est originaire de l’Oural où il est né en 1954. Il a émigré à l’époque de Gorbatchev.Quand la lumière décline a été couronné par le Deutscher Buchpreis en 2011.
• Eugen RUGE : Quand la lumière décline. Roman d’une famille. Traduit de l’allemand par Pierre Deshusses. Les Escales, 2012, 422 pages. [In Zeiten des abnehmenden Lichts. Rowohlt, 2011]. Réédité en 10/18.