Plus qu'un roman policier classique, vous lirez avec Hotel Brasil une savoureuse galerie de portraits : Cândido le personnage principal, ses relations en ville, et tous les pensionnaires de l'établissement, depuis Marcelo le journaliste jusqu'à Madame Larência l'ex-maquerelle. Tandis que l'éditeur Lassale pour qui travaille Cândido fait son beurre avec la "littérature de développement personnel", la tenancière, elle, est l'illustration même de l'inflation galopante sur le marché de la spiritualité au Brésil, une activité qui assure parfois l'ascension sociale :
Elle était femme à faire brûler des cierges pour toute une galerie de saints — encore qu'elle eût aussi l'habitude de fréquenter, avec la même conviction, les lieux de culte afro-brésiliens : terreiros et encruzilhadas. Elle était adepte de pratiques divinatoires — les buzios et les horoscopes—, de l'ésotérisme égyptien et de l'ascèse hindoue, des séances de spiritisme et des breuvages magiques des Indiens. Née pauvre dans la favela, Dino avait débuté comme femme de ménage. Puis elle était devenue gouvernante de l'immeuble qui, plus tard, s'était transformé en pension sous le nom pompeux d'Hotel Brasil. Dévot de Thor, l'Égyptien Horus avait fait tout ce qu'il fallait pour initier sa jeune employée aux courants spirituels qui rapprochent les eaux du Nil de celles du Gange. Il s'en allait souvent passer des mois en Amazonie, se passionnant pour les croyances indigènes, les légendes des bords du fleuve, les mythes de la forêt. La maison restait alors sous l'autorité de Dino, unique fidèle qu'Horus ait réussi à convertir au Brésil. Un jour, sous le coup d'une inspiration surnaturelle, Horus avait ôté du mur le marteau qui décorait son bureau et était parti sans la moindre explication, abandonnant l'immeuble aux bons soins de sa gouvernante. (Extrait, page 116).
L'action du roman se passe à Rio de Janeiro, vers 1999. À l' Hotel Brasil qui est une pension pour personnes seules tenue par dona Dino et son chat Osiris, un locataire, Seu Marçal, ancien fonctionnaire aux Minas Gerais, amateur de belles pierres et de femmes vénales, est retrouvé mort dans sa chambre, décapité, énucléé. Le commissaire Olinto Del Bosco mène l'enquête auprès des pensionnaires —belle série de personnages dont nous apprenons les faiblesses et le passé— mais fait "chou blanc". Pour ne pas perdre la face, il fait arrêter Jorge, le factotum de l'hôtel ; après les tortures d'usage dans une police encore très inspirée par les méthodes datant de la dictature militaire (1964-1985), celui-ci avoue tout. Tout et tout.
Simplement, tandis que nous suivons la vie professionnelle et amoureuse du professor Cândido le protégé de dona Dino, et que l'auteur nous promène à travers la société brésilienne, d'autres pensionnaires sont pareillement envoyés ad patres. S'occupant à l'occasion des enfants des rues par le biais d'une association caritative, le naïf Cândido, ne se soucie pas trop de savoir la vérité sur le meurtre de Seu Marçal ni la suite de l'enquête. Il se soucie d'une bien jeune droguée, Bia/Beatriz, et il s'inquiète des violences policières à l'égard des jeunes cariocas. Il s'intéresse également à la jolie Mônica, l'anthropologue qui a l'âge d'être la mère de la petite sauvageonne. Vous ne trouvez pas ça bizarre ?
Réjouissez-vous, il y aura une happy end (enfin, pas pour ceux qui auront perdu la tête…). Réjouissez-vous aussi parce que cet unique roman est un condensé de vrai Brésil (il n'y manque à peu près, et sans doute volontairement, que samba et carnaval). L'auteur s'y connaît en matière de Brésil : il était conseiller du président Lula. Alors quand un cafard irrespectueux part à l'assaut du portrait présidentiel qui orne le mur du commissariat, j'ose espérer que vous penserez qu'il s'agit non de Lula mais de son prédécesseur : Cardoso. L'auteur s'y connaît enfin largement dans le domaine spirituel, juste un indice : "Frei" ce n'est pas un prénom.