Il était tentant de classer cette chronique dans la rubrique "Littérature latino-américaine" en raison du titre, du sujet, des lieux. Mais Tony Cartano étant éditeur chez Albin Michel, alors … non. Comme le tango, la milonga évoque Buenos Aires où se déroule la majeure partie de l'action. Imaginez trois enfants d'un certain Dr Aureliano Ortega qui « comme Jorge Luis Borges […] tenait les contes d'hier pour des épiphanies [et] haïssait l'odeur et le langage du peuple mais vénérait son essence...» Le défunt docteur est entouré d'un nuage de mystère qui fait tout craindre : torture et assassinats politiques, rapt d'enfant à la naissance. Alors les enfants dudit toubib, devenus grands, se posent des questions, ouvertement, et indirectement par leur expression artistique. Pour Estefania, c'est la peinture. Pour Gabriel c'est la danse. Pour Rafael c'est la photographie. Et tous les trois font, tour à tour, la corvée de la narration.
À la mort du père (assassinat politique ou crime passionnel ?), Charlotte, leur belle-mère les a emmenés tous trois vivre un exil européen. Et bien plus tard, alors que l'Argentine a cessé d'être une dictature militaire et qu'ils ont réussi leur vie professionnelle, Gabriel convainct Rafael de revenir sur les bords du rio de la Plata. Rafael s'interroge particulièrement sur son identité, argentine, et personnelle tandis qu'Estefania est décédée en France avant d'avoir pu exposer ses toiles. Gabriel et Rafael, aux tempéraments si opposés, sont-ils nés de Franca, la première épouse du Dr Ortega, morte en couches ? Rafael va se trouver pris entre Stéphanie qui enquête sur les violations des droits de l'homme et Anna Ruiz dont le père est sans doute le meurtrier du Dr Ortega. Et si la mère d'Anna était la mère de l'un des enfants Ortega ? Mais lequel ?
La situation de l'Argentine en pleine crise financière, —débandade sociale, agitation des piqueteros, émeutes—, n'a en principe rien pour aider les deux frères à réussir leur retour, mais elle inspire Anna qui réalise un brillant documentaire d'actualité. Gabriel monte un spectacle : Milonga, bien sûr. C'est un triomphe. Rafael, jaloux de leurs réalisations, fait un scandale, menace Carlos Menem et se prend pour un boxeur.
L'écriture s'apparente d'ailleurs elle aussi à la la boxe en ce qu'elle manque à l'évidence de finesse et de doigté. Les évocations sexuelles que l'auteur nous inflige sont souvent maladroites. Les dialogues, quant à eux, me semblent carrément négligés. Malgré tout, c'est un roman intéressant pour le climat qu'il restitue (exemple: les cafés porteños), pour ses thèmes (quête identitaire, culture argentine), voire pour son scénario —aussi embrouillé soit-il et pas toujours très abouti. Ainsi on perd en route le personnage de Stéphanie, mais on sort du chapeau un trafiquant libanais à la frontière de l'Uruguay et comme par hasard il savait tout des toiles, les Carnes, d'Estefania !
Tony CARTANO : MILONGA - Albin Michel, 2004 et Livre de Poche n°30555 (350 p.)