En 2008 le Brésil a commémoré le centenaire de l'immigration japonaise. Les tout premiers migrants japonais débarquèrent à Santos du "Kasato Maru" en 1908 et le flux continua jusqu'en 1933. Ils prenaient la relève des migrants italiens dans les plantations de café du Parana et de l'Etat de São Paulo. Mais d'autres sont venus après 1945, fuyant un pays en ruines, ou le Tribunal allié chargé de juger à Tokyo les criminels de guerre. La nostalgie impériale pourrait amener certains d'entre eux à former une sorte de "secte".
En un sens c'est un récit sur la communauté japonaise au Brésil que nous propose l'écrivain Bernardo Carvalho et tous les personnages sont d'origine japonaise. Il y a Michiyo et son "double" Setsuko qui tient un restaurant à sushi dans le quartier de Liberdade au cœur de São Paulo. Jokichi, le mari de Michiyo, est le fils unique d'un industriel japonais mort dans l'incendie de son usine lors des bombardements américains sur Osaka. Masukichi est un comédien adepte du kyogen, sorte de théâtre traditionnel. Un cinquième personnage est évoqué indirectement dans les conversations : Seiji, appartenant à une famille de burakumin, acheté par le père de Jokichi pour le remplacer à la guerre et mort durant des opérations militaires à Java. Accident ? Liquidation ? Mais quand la presse évoque la mort de Seiji au Brésil, Jokichi et Masukichi, qui connaissent l'un et l'autre la famille du disparu vont se poser des questions !
L'habileté du romancier consiste à nous prendre d'abord au piège de la vieille dame qui cherche un écrivain — issu de l'immigration japonaise— pour lui raconter ses souvenirs. Ainsi le narrateur, habitué du restaurant de sushi, accepte-t-il de rencontrer celle qui se fait appeler Setsuko. De séance en séance, dans sa maison de style japonais traditionnel, Setsuko expose une histoire embrouillée où il est question de son amie Michiyo, amoureuse d'un jeune comédien de kyogen, mais devenue l'épouse d'un riche homme d'affaires suite à un mariage arrangé. Serait-ce une histoire de ménage à trois ? L'hypothèse du lecteur tombe bientôt à l'eau. Le suicide de Jokichi reste cependant bizarre : on n'est pas certain qu'il ait accompli son geste suite au scandale que représenterait pour lui la publication d'un feuilleton qui semble calqué sur son histoire familiale.
Le suspense parfaitement ménagé par Bernardo Carvalho augmente de chapitre en chapitre. Un rapide voyage au Japon amènera le narrateur à découvrir ce qu'il a déjà en sa possession et qu'il aurait déjà compris s'il avait su lire le texte japonais de Mme Setsuko. Mais voilà ce qui arrive quand on perd ses racines. Elle même est bien consciente des conséquences de l'assimilation culturelle à São Paulo, là où le soleil se couche quand il se lève sur le Japon.
« Il n'est pas étonnant que la secte ait prospéré avec davantage de vigueur après la guerre, sous l'occupation américaine, en essayant de rompre avec les mythes nationaux de race et de religion qui alimentaient le chauvinisme du kokutai et des extrémistes à l'image de ma famille. Tu dois t'étonner de ma façon de m'exprimer. C'est le résultat de cinquante années passées en dehors de chez moi.»
Si tout finit par s'expliquer dans cette histoire faite de vérités successives, il reste que le narrateur gardera son anonymat ! Il n'est qu'un écrivain raté, chômeur, plaqué par sa femme. Mais des écrivains célèbres traversent ce récit. Mishima intéressé par les nostalgiques de l'Empire. Et Junichiro Tanizaki : ne serait-il pas le vieil écrivain à qui se confient Setsuko et Michiyo ? Roman brésilien, oui certes, mais ambiance culturelle très nippone ! Un roman à déguster même si on n'est pas fan de cuisine japonaise !
Bernardo CARVALHO : Le soleil se couche à São Paulo
Traduit par Geneviève Leibrich. Métailié, 2008, 170 pages.
En un sens c'est un récit sur la communauté japonaise au Brésil que nous propose l'écrivain Bernardo Carvalho et tous les personnages sont d'origine japonaise. Il y a Michiyo et son "double" Setsuko qui tient un restaurant à sushi dans le quartier de Liberdade au cœur de São Paulo. Jokichi, le mari de Michiyo, est le fils unique d'un industriel japonais mort dans l'incendie de son usine lors des bombardements américains sur Osaka. Masukichi est un comédien adepte du kyogen, sorte de théâtre traditionnel. Un cinquième personnage est évoqué indirectement dans les conversations : Seiji, appartenant à une famille de burakumin, acheté par le père de Jokichi pour le remplacer à la guerre et mort durant des opérations militaires à Java. Accident ? Liquidation ? Mais quand la presse évoque la mort de Seiji au Brésil, Jokichi et Masukichi, qui connaissent l'un et l'autre la famille du disparu vont se poser des questions !
L'habileté du romancier consiste à nous prendre d'abord au piège de la vieille dame qui cherche un écrivain — issu de l'immigration japonaise— pour lui raconter ses souvenirs. Ainsi le narrateur, habitué du restaurant de sushi, accepte-t-il de rencontrer celle qui se fait appeler Setsuko. De séance en séance, dans sa maison de style japonais traditionnel, Setsuko expose une histoire embrouillée où il est question de son amie Michiyo, amoureuse d'un jeune comédien de kyogen, mais devenue l'épouse d'un riche homme d'affaires suite à un mariage arrangé. Serait-ce une histoire de ménage à trois ? L'hypothèse du lecteur tombe bientôt à l'eau. Le suicide de Jokichi reste cependant bizarre : on n'est pas certain qu'il ait accompli son geste suite au scandale que représenterait pour lui la publication d'un feuilleton qui semble calqué sur son histoire familiale.
Le suspense parfaitement ménagé par Bernardo Carvalho augmente de chapitre en chapitre. Un rapide voyage au Japon amènera le narrateur à découvrir ce qu'il a déjà en sa possession et qu'il aurait déjà compris s'il avait su lire le texte japonais de Mme Setsuko. Mais voilà ce qui arrive quand on perd ses racines. Elle même est bien consciente des conséquences de l'assimilation culturelle à São Paulo, là où le soleil se couche quand il se lève sur le Japon.
« Il n'est pas étonnant que la secte ait prospéré avec davantage de vigueur après la guerre, sous l'occupation américaine, en essayant de rompre avec les mythes nationaux de race et de religion qui alimentaient le chauvinisme du kokutai et des extrémistes à l'image de ma famille. Tu dois t'étonner de ma façon de m'exprimer. C'est le résultat de cinquante années passées en dehors de chez moi.»
Si tout finit par s'expliquer dans cette histoire faite de vérités successives, il reste que le narrateur gardera son anonymat ! Il n'est qu'un écrivain raté, chômeur, plaqué par sa femme. Mais des écrivains célèbres traversent ce récit. Mishima intéressé par les nostalgiques de l'Empire. Et Junichiro Tanizaki : ne serait-il pas le vieil écrivain à qui se confient Setsuko et Michiyo ? Roman brésilien, oui certes, mais ambiance culturelle très nippone ! Un roman à déguster même si on n'est pas fan de cuisine japonaise !
Bernardo CARVALHO : Le soleil se couche à São Paulo
Traduit par Geneviève Leibrich. Métailié, 2008, 170 pages.