Le roman a pour cadre principal une grande maison ancienne, Papenboom Road, Cape Town, où Magrieta Daniels, la bonne noire dévouée, est en âge de prendre sa retraite. Là vit le narrateur, veuf solitaire, soixante ans passés. Il vient de perdre son plus proche voisin. Il vient de perdre son poste de bibliothécaire. C'est la "nouvelle Afrique du Sud" : le voisin est mort au bout de la seconde agression, le poste est donné à un arriviste soutenu par le nouveau régime post-apartheid. Les enfants du narrateur, deux fils mariés loin du Cap et conscients de son âge, de sa solitude et du danger environnant, l'ont convaincu de louer une partie de la maison à un couple. Au lieu de quoi la location est attribuée à une jolie fille pas encore trentenaire — élue par le chat Amadeus.
Le roman — il faut le reconnaître — est fort bien construit et André Brink est un professionnel talentueux. Quatre niveaux de récit — ou centres d'intérêt — dans cette histoire que j'ai choisi de lire plutôt que de relire « Une saison blanche et sèche » jadis décortiquée par nécessité professionnelle et dont j'ai admiré la version cinématographique — avec Donald Sutherland dans le rôle principal. Disons donc quatre niveaux dans ce récit au titre emprunté à J.M. Coetzee et cité en exergue.
1. Roman d'amour entre le narrateur et Tessa qui a l'âge d'être sa fille, la fille qu'il a perdue en bas âge. Récit dominant qui prend souvent le chemin d'une confession impudique et qui ne présente pas un très grand intérêt. Tessa s'approche de la trentaine ; elle collectionne les amants. Le narrateur s'éprend d'elle et à d'autres moments veut la protéger comme si c'était sa fille. Roman rose et sentiment de déjà lu.
2. Histoires de la familles. Le narrateur nous fera tout savoir de sa famille pauvre et de celle de Riana, sa femme, venue d'un milieu afrikaner aisé. La musique de Mozart a été à l'origine de leur liaison puis a accompagné leur vie. Aujourd'hui que Riana n'est plus, victime d'un accident de la circulation, deux pianos rappellent ces jours que la mémoire enjolive. Quand ils ont acheté cette vieille demeure, Magrieta a suivi sa jeune maîtresse, a élevé les deux fils, a été le témoin des infidélités de ses maîtres. et a eu trois maris.
3. Roman post-apartheid. On est passé du Cap de Bonne Espérance à celui de la Désillusion. Le prisonnier 46664 devenu Président n'a pas été le magicien que (presque) tous espéraient. La "nouvelle Afrique du Sud" est seulement le règne de la corruption des services publics (pots de vin pour reloger Magrieta après l'incendie criminelle de sa maison), le règne la violence et de l'inefficacité de la police, etc. La criminalité record de Jo'bourg gagne Cape Town : agressions dont sont victimes les proches du narrateur et de sa bonne, agressions contre Magrieta dans son township, contre le narrateur et contre Tessa dans la forêt… De quoi émigrer : c'est le choix des fils du narrateur.
4. Histoire de fantôme. Eh oui. C'est le clou du livre. Le chapitre 4 vaut à lui seul qu'on lise ce livre. On peut peut-être même faire l'économie du reste. Antje du Bengale était une jeune esclave amenée ici même par la Compagnie des Indes. C'était il y a trois cents ans. Elle était belle. Deux maîtres "boers" l'ont achetée ; le second, le tavernier Willem Mostert, l'a possédée. Le couple a éliminé Susara l'épouse légitime, riche, grosse et crédule. Antje a été condamnée à mort. Décapitée. Et enterrée où ? Si vous n'avez pas deviné, il faudra lire le roman jusqu'au bout...
Antje du Bengale hante donc la maison de Papenboom… et converse, dans la cuisine ou dans le couloir, avec Magrieta et même Tessa. Tandis que Riana hante le souvenir du narrateur quand il attend, fébrile, le retour de Tessa. Finalement, l'originalité du roman est d'abord dans les communications secrètes entre ces diverses histoires émaillées de mots en afrikaans.
• André BRINK : Les droits du désir
Traduit de l'anglais par Bernard Turle
Stock, 2001 - Livre de Poche, 412 pages.