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Sud-africaine de naissance, documentariste à New York, Ceridwen Dovey a bâti un roman, aussi surprenant que son prénom, sur la chute d'un dictateur quelque part dans une capitale au bord de la mer. Le thème du dictateur est l'un de ceux qui ont le mieux fleuri dans la littérature depuis un siècle. Qu'on pense à "Tirano Banderas" de Valle-Inclan (1926), à "Moi le suprême" de Roa Bastos et tant d'autres plus récents rien que dans le domaine espagnol, comme à "En attendant le vote des bêtes sauvages" d'Ahmadou Kourouma et à de nombreux autres titres d'auteurs africains. L'originalité de ces "Liens du sang" est de passer par l'entourage intime du dictateur, pas par les politiciens qui procèdent de son pouvoir.
 

Tour à tour, le portraitiste, le coiffeur, et le cuisinier du Président se voient donner la parole, non sous la forme d'interviews, mais parce que le narrateur change d'un chapitre à l'autre. Pas de prénom, rien que la fonction. Ce procédé donne évidemment à l'histoire une allure de fable. Pour enrichir le point de vue, et pour donner corps à l'action, la fiancée du frère de son coiffeur, la fille de son chef de cuisine, et l'épouse de son portraitiste viennent apporter leur contribution au récit. Le lecteur doit faire un petit effort pour suivre ces changements de point de vue qui donnent parfois une impression de vertige comme si on voulait l'hypnotiser. Ou comme s'il fixait des yeux certaines œuvres de Vasarely. Il risque aussi de se perdre un peu dans ces "liens du sang" car des amours cachées sont venu brouiller les pistes !


Quand le coup d'État ou la révolution renverse le Président, il revient au Commandant de gouverner. Le portraitiste, le coiffeur et le cuisinier se retrouvent d'abord en résidence surveillée. Le lecteur s'imagine qu'ils vont subir les foudres du Commandant — il a tort. Ceridwen Dovey a imaginé un scénario déconcertant en utilisant la vie privée des uns et des autres. On évite ainsi tout pathos sur le pouvoir absolu qui corrompt absolument ou toute considération bien connue sur les droits de l'homme. L'amie du frère du coiffeur — la femme sur la couverture ? — va se retrouver telle un enjeu entre le commandant et le coiffeur, tandis que le nouveau pouvoir commencera à donner les premiers signes du retour à l'ordre.


Les pinceaux et les fusains du portraitiste ne risquent pas de mettre en danger le Président ou le Commandant puisqu'il n'est pas question d'un caricaturiste. Mais le coiffeur et le cuisinier utilisent eux des outils nécessairement tranchants. Aussi le lecteur découvrira une "issue dévastatrice" comme dit la 4è de couverture. Je ne dévoile donc rien en disant qu'il découvrira aussi comment préparer les ormeaux et comment cuire les langoustes. Bon appétit.
 

•  Ceridwen DOVEY  : Les liens du sang
Traduit de l'anglais par Jean Guiloineau. Éditions Héloïse d'Ormesson, 2008, 214 pages.


 
Tag(s) : #LITTERATURE SUD-AFRICAINE
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