Grand reporter au Petit Parisien, Albert Londres est largement connu aujourd'hui pour le Prix qui porte son nom et couronne des ouvrages de journalistes. Il s'est rendu célèbre en France par son combat retentissant contre le bagne de Cayenne et son récit de voyage en Afrique noire.
Dans cette enquête de 1929, qui joue avec le titre du roman d'Eugène Sue, il nous emmène à la découverte des minorités israélites. Son périple part de Londres, et après avoir présenté Herzl et le sionisme, explore le sort misérable des Juifs d'Europe centrale et orientale. La description extrêmement sombre des ghettos s'accompagne du rappel des pogroms survenus en Pologne, Roumanie et Russie, avant la Première Guerre Mondiale, voire tout récemment, comme à Oradea-Ma, Transylvanie, en décembre 1927 à l'issue d'un congrès d'étudiants extrémistes. Ou encore en 1919 en Ukraine, quand des bandes armées ajoutent à leur fureur antisémite la croyance que les Juifs étaient de mèche avec les bolcheviks haïs.
À ces noirceurs sanglantes et inhumaines s'oppose l'illumination spirituelle des Juifs en prière. À ces Juifs ashkénazes au sort pitoyable, courbés sous la crainte, s'oppose aussi la fierté et le dynamisme de ceux qu'Albert Londres découvre en Palestine, à Tel Aviv. Mais il nous avertit que leur avenir connaîtra d'autres difficultés. En effet, dès les lendemains de la Déclaration Balfour créant en Palestine un Foyer national juif, les Arabes palestiniens, musulmans comme chrétiens, se sont dressés contre. Les premiers meurtres de Juifs en 1919, et en 1929 entre deux séjours du reporter, dénotent une sauvagerie égale à celle des Ukrainiens de Lwow ou de Berditchev. Les colons qui créent Tel Aviv et les kibboutzim n'en sont pas intimidés. Albert Londres dénonce enfin l'attitude partisane de l'Angleterre en Palestine.
On connaît la suite… Le style du journaliste, brillant parce qu'incisif, est cependant parfois gênant dans ses descriptions des humiliations subies par les Juifs d'Europe. On se demande s'il n'en rajoute pas, voire s'il n'est pas lui-même emporté par quelque racisme sous-jacent. Mais aussi, quand il décrit les meurtres et les fusillades sur le terrain, en Ukraine, on se dit que les SS d'Himmler n'ont pas eu grand chose à inventer.
• Albert LONDRES : Le Juif errant est arrivé.Albin Michel, 1929. Nombreuses réédition dont 10/18, puis Le Serpent à Plumes, 1998, 295 pages, et Arléa-poche.