Pour le récit de ses quinze premières années, Stella Baruk nous emmène dans trois villes appartenant aux pays des Mille et Une Nuits : Yezd, Alep et Beyrouth. L'Alliance israélite avait ouvert une école à Yezd en 1910, les parents y furent nommés vingt ans plus tard, c'est là que Stella naquit "en français". Suivront les classes primaires à Alep, le pensionnat des soeurs et le lycée à Beyrouth. L'auteur mêle mémoire du vécu familial et récit scolaire d'une élève brillante. Les souvenirs font une belle place au père doué pour le chant et le violon alors que la mère est évoquée surtout pour son côté diligent et strict en toutes choses. Une mère juive, quoi.
L'identité juive ne fut révélée à la petite fille que très progressivement car les parents prônaient une éducation laïque. Le sabbat et les fêtes juives occupaient une place limitée de la vie privée. Mais l'installation au Liban a fait découvrir à la jeune fille une société idéalement multiculturelle dispersée entre de nombreuses chapelles. Stella découvrit assez tardivement un grand-père juif vivant en Palestine. Alors que le ravissement du jeu des orgues lui faisait miroiter une vie de religieuse catholique, un séjour en kibboutz l'orienta autrement. Mais l'imprégnation culturelle qui nous est livrée par l'auteur en priorité c'est l'exaltation de la langue française, écrite et parlée.
« Ah, les rédactions. C'était un bonheur seulement menacé par la nécessité de se limiter au sujet imposé. Bien sûr, j'étais favorisée, mais pas comme on croyait. Simplement, chez nous on parlait comme les écrivains écrivaient ; quand papa et maman discutaient, et même quand il se disputaient, on aurait pu admirer la parfaite correction des phrases que toutes, et dans tous les cas, ils commençaient et finissaient. Alors bien sûr, puisque écrire était la même chose que parler, les mots venaient, affluaient, se bousculaient ; tout, ou rien, était prétexte à prolégomènes, développements, conclusion, et chute finale qui justifiait à elle seule la matière brassée, l'histoire racontée...»
Avec en opposition à cet aveu, un exemple de français farci, entendez farci de mots arabes, pour les échanges spontanés des cours de récréation. Bref, on ne peut cacher davantage le ravissement que procure la lecture d'un texte aussi divinement écrit que cette œuvre autobiographique de Stella Baruk, – que beaucoup connaissent mieux pour ses essais sur l'enseignement des mathématiques.
• Stella BARUK : Naître en français
Gallimard, coll. Haute Enfance, 2006, 248 pages.