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   C'est le roman que J.M.G. Le Clézio a publié juste avant de recevoir le prix Nobel. Mais ce n'est peut-être pas celui qui restera le plus représentatif de son œuvre ; par certains aspects, on pourrait retrouver un monde plus proche de Modiano. Je m'explique : certes, l'écriture très classique est bien celle à laquelle Le Clézio nous a habitués, mais le milieu social, les personnages, et un brin de Côte d'Azur succédant à une atmosphère parisienne font parfois penser à l'autre écrivain. Comme dans "L'Africain" (2004), l'auteur exploite ici le thème de l'histoire familiale et de ses origines mauriciennes.


« J'ai écrit cette histoire en mémoire d'une jeune fille qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans.» C'est par cette phrase que l'auteur achève son récit. Ethel Brun est une jeune personne d'environ vingt ans à la veille de la seconde guerre mondiale ; ce personnage est fortement inspiré par la mère de l'auteur.   

 

Le thème de la faim est annoncé par l'auteur dans une sorte d'avant-propos : «Je connais la faim, je l'ai ressentie. Enfant, à la fin de la guerre, je suis de ceux qui courent sur la route à côté des camions des Américains, je tends mes mains pour attraper les barrettes de chewing-gum, le chocolat, les paquets de pain que les soldats lancent à la volée…»  Ce thème de la faim — au sens alimentaire — se retrouve essentiellement, à la fin du livre, à partir de la page 152, lorsque la famille Brun, ruinée, est installée à Nice — où l'auteur est né — et que l'on y retrouve Ethel avec ses parents, attendant la Libération, et en ce qui concerne Ethel dans l'attente de Laurent Feld qui a servi dans l'armée canadienne et qui fréquentait le salon de la rue du Cotentin, avant la double débâcle de la famille d'Alexandre Brun et de l'armée française. Mais le thème de la faim est aussi celui de l'attente d'événements pour lesquels la vie vaut d'être vécue ; or, le sentiment de vide rode dans l'esprit et la chair d'Ethel : manque d'amour venant du foyer familial, vide du jardin de la rue de l'Armorique, déception de la relation avec Xénia, etc.


   Avant le retour de la faim au bord de la baie des Anges, ce roman se déroule à Paris, où est installé le ménage bancal d'Alexandre et de Justine qui, elle, n'est pas mauricienne et qui a été épousée à la place de Maude, l'artiste lyrique. Le père d'Ethel, un vrai "coco-bel–oeil", se prend pour un inventeur et aussi pour un homme d'affaires ; il est si mal inspiré que les aigrefins qui présentent bien et fréquentent son salon, finissent par engloutir sa fortune et celle de sa femme, malgré les tentatives d'Ethel de sauver un bout de son héritage. Ce roman est aussi — et c'est par là qu'il démarre — consacré aux relations d'Ethel encore adolescente, avec son vieil oncle, Monsieur Soliman, magnifique vieillard qui rêve de reconstruire sur son terrain de la rue d'Armorique une maison exotique achetée à l'Exposition Coloniale de 1931. Relations quasi amoureuses aussi avec Xénia, la camarade de lycée, blonde réfugiée de Russie, qui éveille la sensibilité d'Ethel avant qu'elle ne rencontre le fameux Laurent Feld qui l'emmènera à Toronto.


   Ce qui m'a le plus intéressé dans ce roman, c'est peut-être cette atmosphère du salon de la rue du Cotentin dans les années trente, années de crise économique, années du Front Populaire, années de "la montée des périls". Pour ne pas oublier, Ethel note dans son cahier des citations, des bavardages parfois pittoresques, parfois navrants par leurs clichés antisémites. Ethel, inverse de Léthé le fleuve de l'oubli de la mythologie grecque, veut se souvenir des temps d'avant. J.M.G. Le Clézio s'accroche de toutes ses forces à ce temps qui passe et son écriture est devenue classique pour mieux faire entendre et signifier toute cette mélancolie.


• J.M.G. Le Clézio - Ritournelle de la faim. Gallimard, 2008, 206 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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