Un personnage de Gogol en Amérique !
N'ayant pas retrouvé "FEU PÂLE" dans ma bibliothèque, j'ai jeté mon dévolu sur ce petit roman de 200 pages, plein d'ironie et de tristesse à croire que Pnine, je veux dire Timofeï Pavlovitch Pnine s'est échappé des "Âmes mortes" où il aurait été un cousin de Tchitchikov. Et physiquement il est "idéalement chauve".
Le roman tourne autour de Pnine, donc. C'est un Russe de l'âge de Nabokov qui a fui la Russie rouge, suivi les Russes blancs à Paris avec sa femme Lise-Liza-Elizaveta, une psychiatre qui l'a trompée avec un autre psychiatre, l'inconsistant Dr Wind.
Dans l'Amérique de Truman et d'Eisenhower, le professeur Pnine tente d'enseigner la langue de Pouckhine à un groupuscule d'étudiants de l'Université Waindell, provinciale certes, mais de Nouvelle-Angleterre. Au milieu des professeurs médiocres, sérieux et cancaniers il est celui dont on se moque : spécialité de Jack Cockerell pour animer les repas et les soirées. Le fait est que Pnine a le chic pour rater les trains, rater son mariage, son enseignement, ses recherches, sa vie. Tandis que Liza court après un troisième puis un quatrième mari, il réussit à transférer chez lui 365 bouquins de la bibliothèque universitaire : trophées qu'il exhibe lors de la soirée avec vodka et buffet qui marque son triomphe et sa chute.
La manière de Nabokov a de quoi surprendre (surtout en 1957) et enchanter. Les maladresses anglophones de Pnine s'accompagnent d'une pittoresque invasion de "russismes". Surtout, la position du narrateur évolue ; le narrateur omniscient du début, petit à petit, se glisse dans la peau de l'auteur, — "pour ma part" (page 135) et "mon pauvre ami" (page 157)— et dans le chapitre final il feint de dévoiler à la première personne, dans un récit devenu autobiographique, l'ensemble de ce que lui Nabokov savait de ce personnage comme si c'était un compatriote et à un an près son contemporain.
• Vladimir NABOKOV : P N I N E - 1957 - Traduction de Michel Chrestien - Gallimard 1962 — folio 1973.