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Pour le Français moyen, c'est un supporter qui sème la terreur sur un stade de football où joue une équipe britannique. À l'origine il s'agit d'une famille de brigands irlandais d'un quartier populaire de Londres. Mais ici ? C'est Norman le hooligan. «C'est-à-dire marginal, non aligné, exclu» (page 28). L'époque du mariage des parents et de sa naissance est qualifiée d'année hooliganique : juste avant, en 1934-1935, l'écrivain Mihail Sebastian publiait " Comment je suis devenu un hooligan " et Mircea Eliade " Les Hooligans ". Tous deux Roumains, comme Norman Manea, qui admire le premier, et déteste l'attitude politique du second, dont il a dénoncé, une fois exilé aux États-Unis pour fuir la dictature de Ceausescu, la compromission avec les nationalistes antisémites de la Garde de Fer, pilier de la dictature d'Antonescu, responsable de la déportation de la famille Manea en 1941. On voit déjà les thèmes qui hantent cette autobiographie : l'identité de l'exilé, juif, roumain ; la mère adorée, peu attentionnée, décédée en Roumanie et seule de la famille proche a y être inhumée ; les deux dictatures roumaines, nationaliste et communiste; sans compter les écrivains juifs et/ou roumains, les morts et les vivants — dont beaucoup sont des amis de l'auteur. L'autobiographie commence avec les interrogations sur l'opportunité d'un voyage en Roumanie : c'est le retour du hooligan. Il s'agit du prétexte d' accompagner un chef d'orchestre, collègue de l'université Bard, il s'agit surtout d'aller se recueillir sur la tombe de la maman et d'entendre parler le roumain.
La mère, centre de la famille
La mère juive est possessive dit-on. Bien sûr celle de Norman l'est. Mais pas du genre à chouchouter le petit Norman. Les temps de l'enfance sont durs : à cinq ans, il est déporté avec ses parents, de l'autre côté du Dniestr (Transnistrie), après l'invasion de 1941. Les grands parents maternels y périssent. En 1945, Norman et ses parents sont libérés par l'Armée Rouge. Comment ne pas croire au moins pour un temps à la vertu du stalinisme ? C'est alors le retour en Bukovine (Suceava, etc). Le père, comptable dans une entreprise avant la guerre, devient, un peu contre son gré, un petit chef communiste, et ne tarde pas à se retrouver en camp de travaux forcés (Periprava, 1958). Après des études supérieures à Bucarest, l'auteur est lassé par le travail d'ingénieur sur les chantiers de construction : il préfère la littérature. Kafka et Proust deviennent les dieux essentiels de son panthéon culturel. Quand l'auteur quitte la Roumanie en 1986, sa mère est déjà touchée par un début de cécité. La séparation est difficile. Norman Manea parle beaucoup plus de sa mère que de sa femme : il faut attendre la dernière partie du livre pour se persuader de son existence ! La maman est morte au début de l'exil américain. Le père, âgé et malade, a rejoint Israël. Sa soeur Ruti également.
L'identité de l'exilé
Norman est un juif de Bukovine. L'un des grands-pères tient une librairie et maison de la presse. Avant 1940, déjà, le sionisme s'adresse à cette minorité qui, dans le passé a souffert de persécutions, de pogroms, bien avant l'arrivée au pouvoir de Hitler et de son allié Antonescu. Aussi certains membres de la famille envisagent-ils d'émigrer. La roue de l'histoire s'accélérant, les Manea sont pris au piège de la déportation par le régime roumain. C'est ce que l'auteur appelle l'Initiation : un jour d'octobre 1941, Norman découvre ce que c'est qu'être juif. En avril 1945, il redevient un Roumain ordinaire. Un homme comme les autres ? Non, car l'exil en Allemagne et à New York l'éloigne de sa famille, de ses racines, des amis qui parlent le roumain. Sa patrie c'est sa Langue, – il y est plus attaché qu'à la religion israélite et il n'est pas sioniste – et la Littérature. On ne peut être plus clair : c'est le 16 juin 1986, le Bloomsday, qu'il dépose sa demande de visa. Il fête alors ses 50 ans. Bloomsday : allusion à la journée de Leopold Bloom rapportée par James Joyce dans Ulysse. Ainsi commence l'odyssée américaine de Norman Manea. Cependant l'identité juive s'affirme dans la dernière partie : le cauchemar d'après un tableau de Chagall, le don à la synagogue et au cimetière du pays natal… Et puis New York n'est-ce pas aussi "Jew York" ?
La dictature communiste
D'abord il y eu la libération communiste... Norman, lycéen, est secrétaire des jeunesses communistes. Obligé de faire une "purge" de trois de ses camarades, il perd la foi dans le communisme. Ce régime devient même à ses yeux pire que celui qui l'envoya quatre longues années pourrir dans un camp moldave. Quand arrive au pouvoir Ceaucescu, c'est le déchaînement d'ironie, de flèches acérées, de formules bien mordantes. Le tyran est "le Clown Blanc des Carpathes". La Roumanie n'est qu'un "pachalik" appelé parfois Jormanie. La collectivisation de l'économie roumaine est tournée en ridicule : le "commerce socialiste" est une contradiction dans les termes, comme la "philosophie socialiste" (page 200). Le pays Dada. Le pays où les toilettes sont pleines d'excréments. Le pays où le père est injustement condamné au camp de travaux forcés. À quoi s'oppose l'Amérique : «In paradise one is better off than in whatever country…» comme l'auteur aime répéter, quelques vers d'un poète polonais... Mais qu'on ne se trompe pas : la Roumanie post-communiste est présentée sans aucun attrait!
• Norman MANEA - Le retour du hooligan
Traduction de Nicolas Véron et Odile Serre, Seuil, 2006, 447 pages.
Prix Médicis étranger 2006
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