Si les récits d'esclaves ont constitué un genre particulier aux XVIII et XIXe siècles, tous n'avaient pas été édités. C'est seulement en 2001 que l'universitaire américain Henry Louis Gates Jr a découvert le manuscrit olographe d'Hannah Crafts. Rédigé dans les années 1855-1860, juste avant qu'éclate la Guerre de Sécession, il fut publié initialement en 2002. Aujourd'hui les recherches permettent d'affirmer que c'est la première autobiographie écrite par une Noire esclave aux États-Unis, et que les personnes évoquées dans le texte ont bel et bel existé, et généralement sous les noms donnés par l'auteur. [C'est sans doute parce que le manuscrit ne fut pas publié qu'autant de vrais noms ont été conservés!]
Sa vie d'esclave s'est passée d'abord en Virginie, puis en Caroline du Nord, ainsi qu'à Washington. Elle réussit à s'enfuir d'une plantation et continua son existence dans une petite ville du New Jersey où elle se maria et devint institutrice et heureuse. L'intérêt du récit est de nous faire revivre la vie d'une esclave — mais Hannah ne trimait pas sur les champs de coton et ne chantait pas le blues. C'est justement parce qu'on voulut l'envoyer aux champs et la marier à un quelconque valet de ferme qu'elle s'échappa du domaine, gagna sa liberté et retrouva sa vieille mère. L'originalité de l'auteur c'est de ne pas mélanger tous les Blancs d'un côté et tous les Noirs de l'autre. Si elle sait très bien dénoncer l'esclavage, elle sait aussi analyser la diversité des conditions sociales — y compris à l'intérieur du monde des esclaves. Elle y vécut comme servante ou femme de chambre, au domaine de Lindendale fondé par Clifford De Vincent, puis au service de la famille d'un pasteur, les Henry, enfin auprès des Wheeler.
Des événements peu ordinaires se produisent : Susan, la jeune mariée de Lindendale, première maîtresse de Hannah s'avère être une esclave : un abominable homme en noir, Mr Trappe, a découvert une substitution d'enfant. Susan s'enfuit avec Hannah et les deux fuyardes se retrouvent en prison tandis que le mari de Susan se suicide. Alors que ledit Trappe projette de revendre ses proies à un autre marchand d'esclaves, Susan meurt subitement et Hannah part seule avec lui. Rachetée par les Wheeler, elle connaît la vie mondaine de la capitale avant la présidence de Lincoln. On découvre l'existence de sociétés noires visant à libérer les esclaves qui se trouveraient à venir avec leurs maîtres au nord de la ligne Mason-Dixon. C'est ce qui arrive à Jane Johnson et permet à Hannah de devenir la femme de chambre de Mme Wheeler. Mais elle se fit évincer par l'intrigante Maria lorsque les Wheeler durent quitter la capitale pour retourner dans leur plantation.
Un récit enchâssé dans l'autobiographie donne une vision particulièrement tragique de cette société esclavagiste. À Lindendale, le nouveau propriétaire a épousé une aristocrate anglaise. Cette Mme Cosgrove découvre assez vite que son mari a séduit plusieurs jolies esclaves, qui sont devenu ses maîtresses. L'une d'elle est prête à tuer son enfant et à se suicider plutôt qu'à être chassée ou vendue. Les autres sont placées à l'écart du domaine à l'insu de Mme Cosgrove. Mais un jour elle découvrira le pot-aux-roses...
L'autobiographie n'est pas un genre qui me passionne à tous les coups mais on ne s'ennuie pas une seconde à lire les aventures de Hannah Crafts.
Hannah CRAFTS
Autobiographie d'une esclave
Traduit par Isabelle Maillet
Petite Bibliothèque Payot, 2007, 360 pages.