Sous le titre original de « Buda's wagon », l'étonnant Mike Davis que nous avons déjà rencontré sur ce blog pour "Génocides Tropicaux" parcourt l'histoire des attentats à la voiture piégée depuis 1920 quand l'anarchiste italien Mario Buda fit exploser sa carriole au coin de Wall Street face au siège de la banque Morgan. En réalité l'histoire des machines infernales avait déjà un long passé : un soir qu'il allait à l'opéra, Bonaparte alors Premier Consul avait frôlé la mort rue Saint-Nicaise le 24 décembre 1800.
Au fil des chapitres nous voyageons aux États-Unis, en Argentine, en Corse, en Espagne, en Irlande, en Angleterre, en Turquie, en Algérie, en Égypte, au Vietnam —au temps du viet-minh et au temps du viet-cong— , à Ceylan, en Indonésie, etc… De plus en plus de pays sont malheureusement concernés. Mike Davis ayant exposé sa recherche sous forme de brefs chapitres propres à un lieu et un temps, j'ai tenté de figurer ci-dessous cette "extension du domaine de la lutte".— Géographie des attentats à la voiture piégée depuis 1920 —d'après le livre de M.DavisCes voitures piégées explosent en relation avec l'affirmation du nationalisme (basque, irlandais, palestinien), dans le cadre du conflit israélo-palestinien (y compris à Buenos-Aires), ou du conflit indo-pakistanais, dans un contexte de "résistance" à l'impéralisme américain (actions attribuées à ou revendiquées par Al-Qaïda), ou dans un "djihad" contre le tourisme occidental (Bali, Sinaï…). Le Canada, la Chine, le Japon, l'Océanie restent pour l'instant aussi calmes que l'Antarctique.
L'intervention américaine au Vietnam fit de Saïgon une "Bombeville" dans les années 60-70. Et l'historien californien montre dès lors que les attentats à la voiture piégée tendent à se focaliser dans les villes, et particulièrement les mégapoles. Aussi le lecteur est-il, après Saïgon, accompagné dans ces lieux dangereux que sont Beyrouth, Londres, New York, Bombay, Bagdad, Karachi, Jakarta, Madrid… Naturellement, la grande ville abrite des institutions visées en priorité : bourses (New York, Londres, Bombay), banques, ministères, ambassades et consulats, voire musées (attentats de Cosa nostra). Et ces villes sont vulnérables : définitivement ?Organiser des villes protégées à coup de murs de béton comme à Fallujah, c'est-à-dire revenir aux villes fortifiées du Moyen-Âge européen, paraît impraticable à l'échelle de toute une métropole comme Londres, même avec une panoplie de surveillance électronique tout au mieux capable de lire les numéros de plaques d'immatriculation des véhicules — ce qui s'applique au centre de Londres et de Milan à des fins autres : réduire la place de la voiture dans le centre-ville. Mais on ne doit pas se cacher que le kamikaze peut venir à pied…
Comme les mesures de protection telles que les zones fortifiées et les plans vigipirates ne peuvent surveiller que des points particuliers, et que les terroristes ne se limitent pas à viser des institutions précises, la conclusion est que la terreur est susceptible de toucher tout un chacun. Soit que les terroristes se moquent des "dégâts collatéraux ", soit qu'ils visent à maximiser le nombre de victimes innocentes, la terreur pour tous est la perspective dramatique qu'on entrevoit au fil de cette lecture. Le seul espoir d'éviter l'enfer ? — Ce sont les esprits qu'il faut désarmer. Vaste programme, comme aurait dit le Grand Charles.Un grand mérite du livre de Mike Davis est enfin (surtout ?) de nous faire visiter l'arrière-boutique du terrorisme. On rencontre ainsi les hommes des réseaux terroristes, notamment de l'IRA, des artificiers des Tigres tamouls ou du Hezbollah, ou encore Zarqaoui et ses djihadistes…. Mais aussi des services secrets, principalement CIA, ISI pakistanais.
• Mike DAVISPetite histoire de la voiture piégéeTraduit par Marc Saint-UpéryZones (La découverte), 2007, 248 pages.