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Ils étaient trois frères : François, Henri et Emmanuel. Entre 1940 et 1945 ils ont joué un rôle majeur dans la Résistance et De Gaulle fit d'eux des Compagnons de la Libération. Après avoir consacré un ouvrage à son grand-oncle Emmanuel, fondateur du réseau Libération, le petit-fils du général François d'Astier de La Vigerie fait ici de son autre grand-oncle, Henri, le personnage central des événements qui se sont déroulés à Alger à la fin de l'année 1942. D'abord il a permis à l'opération Torch de se dérouler en douceur à Alger, et ensuite il a contribué à organiser l'exécution de l'amiral Darlan que Pétain avait élu comme successeur.

 

Né en 1897 et ancien combattant de la Grande Guerre, Henri d'Astier est entré en Résistance avec le groupe Orion. Installé à Alger en 1941 il a développé une activité résistante à partir des Chantiers de Jeunesse et constitué un groupe s'action qui réussit à contrôler Alger le 8 novembre 1942. Par une sorte de putsch les activistes se sont momentanément emparés de Darlan et de Juin. Cette brève paralysie des autorités civiles et militaires a permis localement la réussite du débarquement anglo-américain. Le général Giraud est arrivé le lendemain, jouissant de la confiance d'Eisenhower. Darlan a retrouvé sa place de Haut-Commissaire en Afrique du Nord et de ce fait la situation nouvelle risquait d'éloigner l'Algérie du général De Gaulle, par ailleurs furieux de n'avoir pas été prévenu du débarquement allié.

 

François d'Astier était connu pour s'être violemment opposé à Darlan en juin 1940 quand l'amiral avait retourné sa veste. Avant de se rallier au gouvernement de Pétain, l'amiral avait en effet soutenu à François d'Astier qu'il passerait en Afrique du Nord avec sa flotte intacte pour continuer la lutte. Le revirement de l'amiral fut donc logiquement interprété comme une trahison par le général d'aviation qui transféra, lui, ses avions au Maroc. En 1942, rejoignant à Londres le général De Gaulle, ce général d'aviation lui déclara haut et fort qu'il fallait se débarrasser de Darlan puisque c'était un traître. François d'Astier a répété la même chose à son frère Henri le 19 décembre à Alger quand il lui apporta de quoi financer la cause gaulliste en Algérie. On comprend donc que certains aient pu écrire que l'exécution de Darlan avait été organisée par De Gaulle, d'autant que l'entrevue que François d'Astier finit par accepter avec l'amiral Darlan fut pour le moins orageuse.

 

En réalité, Henri d'Astier et ses amis étaient presque autant monarchistes que résistants ; ils s'étaient imaginé que le comte de Paris, alors résident au Maroc, ferait un excellent chef d'Etat provisoire réunissant sous son aile Giraud chef militaire et De Gaulle chef politique de la France en guerre contre l'Axe. Et pour y arriver, rien de mieux que de faire tuer Darlan puisque apparemment il ne voulait pas s'effacer de lui-même et qu'il traînait derrière lui son passé de collaborationniste. Un petit gars qui avait participé au coup du 8 novembre et qui clamait qu'il voulait liquider Darlan, Fernand Bonnier de la Chapelle donc, fut poussé à l'action par Henri et son groupe. Le 24 décembre le haut-commissaire a donc été exécuté à coups de pistolet au Palais d'été. Mais le tireur fut tout de suite pris, jugé, et fusillé. Henri et ses amis n'ont rien pu empêcher et ils se sont retrouvés en prison. Quant au comte de Paris, qui s'était déplacé jusqu'à Alger, il est reparti bredouille sans être inquiété.

 

Darlan éliminé, le général Giraud récupère son poste, bientôt rejoint par De Gaulle : c'est le CFLN, le Comité français de libération nationale qui se met en place, en juin 1943. Peu après, Giraud casse le procès condamnant Henri d'Astier et son ami l'abbé Cordier ; puis, en octobre 1943, De Gaulle fait d'Henri d'Astier un Compagnon de la Libération. C'est un soldat exalté de la France Libre qui l'année suivante ira participer héroïquement au débarquement de Provence. Quant à Fernand Bonnier il sera réhabilité et décoré.

 

Outre l'établissement précis et rigoureux des faits qui sont souvent ignorés des manuels autant que du grand public, et se fondant entre autres sur les archives de la justice militaire et sur des archives familiales (notes prises par Henri d'Astier), l'intérêt de l'essai de Geoffroy d'Astier de La Vigerie, est de décortiquer un complot oublié et de montrer la responsabilité d'Henri d'Astier et de son ami Cordier. Les pièces de l'enquête du juge Voituriez en janvier 1943 — à la demande de Giraud qui avait craint pour sa vie — figurent en annexe. Plus encore, l'intérêt de cet ouvrage est de montrer la mise en place de tout un réseau œuvrant pour la cause monarchiste, avocats, militaires, fonctionnaires, ou hommes d'affaires, ce qui peut paraître assez incroyable au lecteur contemporain pour qui la monarchie reste surtout la pittoresque tradition du Royaume-Uni.

 

 

Geoffroy d'Astier de La Vigerie : L'Exécution de Darlan. La fin d'une énigme. Librinova, 2022, 355 pages. Livre disponible ici.

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1900 - 2000, #FRANCE, #GAULLISME, #SECONDE GUERRE MONDIALE
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