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« Toutes les familles ont une histoire. Certaines sont pareilles à celles qu'on se racontait autrefois au coin du feu dans les campagnes illettrées…» écrit Klara. Son époux, appelé Oncle dans le roman, est un douanier d'une cinquantaine d'année qui a modifié son patronyme. Il est fier du nouveau nom autant que de son métier, fier d'être fonctionnaire de l'empereur François-Joseph. Klara, sa troisième épouse, est une cousine, si bien qu'il a fallu une dispense pontificale pour le mariage. Klara a déjà perdu deux enfants en bas âge, victimes du croup. Sa nouvelle grossesse est donc un espoir, mais aussi une inquiétude, que la rusticité d'Oncle ne saurait apaiser. Oncle attend un héritier, un petit soldat pour l'empire.

 

Les neuf mois de la grossesse nous sont rapportés par Klara elle-même. Régis Jauffret décrit de façon saisissante les tourments de la jeune femme, venue d'abord chez Oncle comme servante au temps de sa seconde épouse Franziska, gravement malade, pour s'occuper des jeunes enfants du ménage, Angela et Alois junior. Mais Klara fait plus que remplir les fonctions de bonne d'enfants et de cuisinière, bien plus que ça : elle cède aux ardeurs répétées d'Oncle. Et le voisin aubergiste la considère comme une proie facile.

 

Klara rédige des cahiers intimes, puis les brûle, puis écrit sur un tableau noir, qu'elle efface sans cesse avec une éponge, apeurée de laisser des traces, comme si on pouvait lire les mots effacés, comme si Dieu enregistrait tout. Il s'agit au départ d'apprendre l'alphabet au seul Alois — Oncle prétend que sa fille Angela n'aura pas besoin d'instruction... Voyez l'ambiance ! En cachette, Klara traduit en phrases ses idées sombres qui jaillissent sur les cahiers ou le tableau noir. Il en sort des bizarreries, des pensées pécheresses, « des pages impies », que Johanna, sa sœur simplette, pourrait prendre pour diableries si elle les découvrait.

 

Klara estime devoir s'en confesser car Satan est en train de perturber sa grossesse et son bébé est peut-être « l'enfant du diable ». La conscience de Klara devient le champ clos de cauchemars incessants : « Combien de fois le Malin a-t-il dû faire agrandir l'enfer tant le nombre de condamnés s'est envolé avec les siècles. » Et si Dieu décidait de supprimer l'Enfer ? demande-t-elle à l'abbé Probst, une fois de plus offusqué de ce qu'il entend en confession. Il ne donne pas toujours son absolution et quand il la donne c'est une avalanche de dévotions et de pénitence qui s'abat sur Klara. De plus, le terrible prêtre se débrouille pour faire espionner sa pénitente par Johanna. Pour achever ce tableau de la religion étouffante, ne voilà-t-il pas que l'abbé Probst est antisémite. Le médecin qui vient au chevet de Klara s'appelle bien sûr Bloch.

 

Dans l'esprit de Klara il s'en passe des choses... Hallucinée par les visions d'avenir que pourrait provoquer son fils, elle s'imagine des scènes fantastiques et morbides, des moments du génocide. Ces images fortes que nous connaissons tous se superposent au récit de Klara, elles viennent en surimpression comme dans un film d'épouvante... Le 20 avril 1889, au 219 Vorstadtstraße à Braunau am Inn naquit donc le fils de Klara : Oncle, tout joyeux, courra télégraphier la nouvelle à la famille.

 

Quand j'ai vu Régis Jauffret présenter son roman à la télévision, je n'étais pas convaincu de l'intérêt littéraire qu'il pouvait offrir. Le choc se produit à la lecture, dès les premières pages, en introduisant un climat oppressant. Page après page les angoisses de Klara deviennent les nôtres et la tension persiste. C'est une réussite incroyable. On se laisse prendre au suspense bien qu'on connaisse déjà la fin ! « Les mères demeureront toujours comptables des péchés commis plus tard par l'enfant qu'elles ont porté » prévenait Klara dans l'incipit.

 

Régis Jauffret : Dans le ventre de Klara. - Récamier, 2024, 243 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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