Dans cet essai déjà publié en 2015, Pascal Picq convoque la paléoanthropologie et la philosophie pour alerter sur « la mise en danger de l’avenir de notre espèce qui vient de tout ce qui entrave la marche ». Car « tout humanisme commence par la marche ». D’ailleurs ceux qui marchent ont une créativité supérieure de 60 % par rapport à ceux qui restent assis.
Après avoir critiqué nombre de théories fondées sur des mythes, P. Picq, en évolutionniste convaincu, démontre que la bipédie puis la marche debout ont résulté de l’influence de l’environnement : ainsi est apparu chez Homo Erectus avec ce creux au bas du dos que n’ont pas les grands singes. Prétendre que l’homme en descend est une grossière erreur selon l’auteur... Certes Homo partage avec les chimpanzés, les bonobos et les gorilles un même dernier ancêtre commun — le DAC — mais son évolution a été différente des leurs et ce n’est que dans la lignée humanoïde que les aptitudes à la marche se sont développées : « la marche a fait de nous des hommes ».
Toutefois on ne naît pas bipède, on le devient en imitant nos proches. Nous avons l’instinct de la marche mais nous avons besoin d’un apprentissage social et individuel pour parvenir à marcher. À preuve, les enfants sauvages ne marchent ni ne parlent. Et l’auteur de rappeler, en outre, que la marche donne forme à la pensée. De Rousseau à Rimbaud, de Simone de Beauvoir à Alexandra David-Neel, beaucoup d’écrivains ont conçu leurs idées en marchant.
Cependant la domination masculine a souvent limité la marche de la femme entravée par les grossesses et l’éducation des enfants ; ainsi des pieds bandés des jeunes chinoises, des corsets de nos grands-mères… Au XIXe siècle, une femme qui marchait seule dans la rue était considérée comme une prostituée ; au XXIe siècle elle s’expose à toutes les formes d’agression.
« Tout ce qui fait de nous des humains se réduit comme peau de chagrin » : écrans, drive et escalators augmentent la sédentarité et l’obésité, même si les Français restent encore « les habitants les plus minces de tous les pays développés ».
L’auteur lance l’alerte: « ce « consumérisme d’impotents incultes nous mène au déclin de l’humanité ». En libérant le corps et l’esprit la marche est propice aux idées nouvelles et à la défense des libertés: alors marchons !
Chroniqué par Kate
Pascal Picq : La marche. Sauver le nomade qui est en nous. - Autrement, 2024, 282 pages.