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Une belle marquise, seulement disgraciée à nos yeux par son prénom Euphrasie, est l'héroïne du roman et la victime sublime des machinations de ses deux beaux-frères, l'abbé et le chevalier de Gange.

 

C'est la vertu persécutée, mais aussi le vice puni puisque les trois frères de Gange périssent dans les dernières pages du roman, comme sous le glaive de Dieu. Alphonse, le mari, et son frère cadet tombent à la guerre au service de Venise où ils sont exilés. Théodore, l'abbé infâme, est assassiné en Hollande d'une main inconnue sans doute armée par la Providence. Bref, une chute morale clôt un roman qui ne l'est pas, bien que la moins “sulfureuse” de ses œuvres romanesques.

 

L'histoire est censée de passer dans les années 1660. Veuve du comte de Castellane qu'elle a épousée trop jeune, Euphrasie de Châteaublanc a épousé en secondes noces un noble originaire d'Avignon et possédant un fief dans le Languedoc : le marquis de Gange qu'elle aime passionnément. A la cour qu'ils fréquentent, on la flatte de l'appellation de « plus belle femme du siècle ». Mais deux ans plus tard, le couple décide de venir s'installer sur ses terres. Après Montpellier, sur la route qui mène au château, leur voiture casse une roue et dans le choc Euphrasie se froisse l'épaule droite : elle y voit évidemment un signe de malheur, confirmé dans son esprit par la triste allure du château, dont le seul agrément est un labyrinthe au milieu duquel Alphonse a édifié un tombeau !

 

Le jeune couple se félicite cependant de la présence de ses hôtes. Monsieur et Madame de Gange reçoivent : les dix-huit ans d'Ambroisine de Roquefeuille et sa mère, les vingt-trois ans du comte de Villefranche camarade de régiment du chevalier de Gange, réjouissent leurs après-midi et leurs soirées, sans oublier le père Eusèbe un récollet ami de la famille. Bientôt se joint à eux Théodore, l'abbé de Gange qui n'a pas la prêtrise faut-il le souligner, c'était le cas sous l'Ancien Régime de ces abbés commendataires qui en recevaient une pension.

 

Aveuglé par la beauté d'Euphrasie qu'à plusieurs reprises Sade qualifie d' « intéressante », Théodore, en abbé libidineux, cherche à conquérir sa belle-sœur après avoir tenté de la déshonorer — c'est-à-dire qu'on la retrouve évanouie entre les bras du comte de Villefranche en plein labyrinthe. Fort d'une jalousie excitée par Théodore, le mari tue le supposé « amant » et il s'ensuit pas mal de complications, surtout pour la marquise accusée de libertinage et mise au pain sec et à l'eau dans une tour sombre de son château. Mais ne racontons pas tous ses malheurs à venir. Il y aura trois ou quatre enlèvements et séquestrations, un château sinistre près d'Avignon, une fuite sous l'orage, un bordel de marins à Marseille, et toujours les deux frères manipulateurs qui tirent les ficelles, abusent de la confiance de leur frère le marquis de Gange, menacent de mort notre marquise et tentent de circonvenir sa mère. Il faut dire qu'un gros héritage vient rendre Euphrasie encore plus « intéressante », ce qui relance le suspense dans le dernier tiers du roman.

 

Dans un style éblouissant, l'auteur navigue entre le vice et la vertu avec maestria, donnant des leçons de morale que sa propre vie ignorait, louant la piété de la marquise à en attendrir tous les bien pensants, et faisant verser des larmes à toutes ses héroïnes. Et curieusement, par certain côté, la fin de la marquise n'est pas sans rappeler celle de Madame Bovary un demi-siècle plus tard. Le dernier roman du célèbre embastillé tient donc à la fois du libertinage (mais nullement de la pornographie) et du roman noir avec frissons et cachots. Comme d'autres auteurs après lui, Sade s'est inspiré d'une histoire vraie du début du règne de Louis XIV, où une jolie femme — Diane de Rossan marquise de Ganges (1636-1667) — est assassinée par ses beaux-frères avec la complicité de son mari, mais qu'on ne s'y trompe pas il s'agit là surtout, dans les ressorts des personnages, d'un conte du temps de Sade et des Lumières finissantes, un texte sulfureux qui mine la famille et la religion.

 

Donatien Alphonse François de Sade : La marquise de Gange. 1813.

Réédition récente en collection Bouquins : La Marquise de Gange et autres romans historiques, 2023, 800 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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