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Ce livre de mémoires commence en septembre 1976 quand, Sylvie Bermann encore étudiante de Sciences Po et de Langues O' rejoint l'Institut des Langues de Pékin. L'année de stage lui fait découvrir une Chine tout juste veuve de Mao, une Chine villageoise et roulant à bicyclette. Après le concours d'Orient, le Quai d'Orsay l'envoie à Hong Kong en 1979 au nom du China watching avant d'être nommée deuxième secrétaire d'ambassade à Pékin y passant les années 1980-82. Elle revient à Pékin de 2012 à 2014 — « le poste de mes rêves » avoue-t-elle — comme ambassadeur de France dans un pays transformé par les réformes de Deng Xiaoping et devenu une superpuissance bientôt arrogante sous Xi Jinping. Ces séjours lui ont permis d'analyser la résurrection de la Chine dans La Chine en eaux profondes, ouvrage déjà chroniqué ici .


 

D’autres étapes de sa carrière diplomatique se rapportent aux organisations internationales. Elle se retrouve embarquée dans la Conférence de paix sur le Cambodge en 1989-91, puis membre de la mission permanente de la France auprès des Nations-Unies à New York dans les années 1992-1996. C’est un moment rare de l’histoire où les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité sont d’accord sur les problèmes du monde et la manière de les traiter, comme un cadeau à la mémoire de Franklin Roosevelt qui avait imaginé faire des vainqueurs de 1945 les garants de la paix dans le monde. Puis ce sont les relations avec les partenaires européens qui occupent ses années 1996 à 2011, à Bruxelles et à Paris — ce à quoi s’ajoute l’ambassade à Londres en 2014-2017, et donc un témoignage sur la marche désolante du Royaume-Uni vers le Brexit. Elle dénonce les tabloïds, et en particulier le Daily Mail qui « a mené une campagne haineuse contre les émigrés et les élites “mondialisées“ » et qui « ne s’embarrassait pas de faits vérifiés. »


 

La maison Igoumnov, rue Bolshaya Yakimanka, résidence de l'Ambassadeur de France en Russie

 

Personnellement, les deux chapitres consacrés à la Russie ont pleinement retenu mon attention. Sylvie Bermann a en effet, comme pour la Chine, eu le privilège de se retrouver en poste dans ce pays à deux périodes distinctes pour être le témoin des transformations brutales du pays et de sa politique. Premier secrétaire d’ambassade de 1986 à 1989, elle a assisté à la tentative de Gorbatchev de faire de l’URSS un « pays normal » comme il disait, grâce à sa politique de réformes (on se souvent des slogans glasnost et perestroïka !) qui a conduit à l'écroulement du système soviétique. De retour à Moscou comme ambassadrice en septembre 2017 jusqu’en décembre 2019, elle témoigne des changements intervenus : Moscou n’est plus une ville triste et grise comme en 1986 mais une ville rayonnante : « J’avais l’impression d’être passée d’un film en noir et blanc à un film en couleur. » La scène musicale, les expositions des musées, les maisons d’écrivains enchantent alors l’ambassadrice qui se souvient de sa grand-mère russe qui l’avait jadis initiée à la littérature de ce pays. Dans ce poste, la diplomate joue la carte du rayonnement de notre culture, notre soft power, visitant les treize alliances françaises, jusqu’à la dernière créée, celle d’Oulianovsk, la patrie de Lénine.  


 

Mais la Russie a changé. Sylvie Bermann analyse très clairement le revirement politique du Kremlin jusqu’à l’invasion du 24 février 2022.  La liberté des médias a été écrasée. Les oppositions éliminées. La vérité historique sur la période stalinienne méprisée. Le goulag tenu pour un détail sur lequel tourner la page.  Vladimir Poutine s’est attelé à un tâche insensée : réécrire l’histoire et restaurer l’empire disparu. Il tient l’effondrement de l’Union soviétique comme le pire événement du XXe siècle et n’accepte pas l’existence de l’Ukraine.  L’auteure souligne la nouvelle « alliance du sabre et du goupillon », la militarisation progressive du pays, le patriotisme gonflé par la propagande, la dénonciation hystérique de l’Occident jugé en faillite morale.

 

 

Sylvie Bermann : Madame l'Ambassadeur. De Pékin à Moscou, une vie de diplomate. Tallandier, 2022, 347 pages.

 

Le lecteur intéressé par le panorama diplomatique contemporain pourra rapprocher cet ouvrage du livre de Maurice Gourdault-Montagne, Les autres ne pensent pas comme nous également paru en 2022.

 

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1900 - 2000, #FRANCE, #EUROPE, #RUSSIE, #DIPLOMATIE, #CHINE
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