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Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, fils d'un horloger de Genève, sont connues de tous les élèves de classe de Première pour quelques scènes de sa jeunesse errante et instable et de son rôle de gigolo auprès de Madame de Warens qu'il appelle « maman », aux Charmettes près d'Annecy. Loin de vouloir tout reprendre de cette œuvre immense qui a marqué la culture française, mais qui n'expose pas la philosophie de son auteur, je me limiterai ici à quelques remarques.

 

Une autobiographie morale

 

On n'y lira pas toute la vie du citoyen de Genève. Rédigées après le départ du refuge de l'île Saint-Pierre dans le canton de Bienne, les Confessions s'arrêtent en 1765, alors qu'il a déjà écrit l'essentiel de son œuvre, et quitte la Suisse pour se rendre en Angleterre, sur le conseil pressant de Madame de Boufflers et de David Hume alors secrétaire d'ambassade à Paris. Treize années se passeront ensuite amenant Rousseau à quitter l'Angleterre pour revenir dans la région de Lyon puis finir ses jours à Ermenonville le 2 juillet 1778, invité par René-Louis de Girardin qui avait aménagé son parc d'après la lecture de La Nouvelle Héloïse.

 

Le but des Confessions est de rédiger autre chose qu'une stricte autobiographie. L'incipit annonce la couleur : « Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. » Rien de moins ! Il a l'ambition de révéler une âme sensible et pure plutôt que la liste de ses faits et gestes : « Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi. » Et que personne au jour du Jugement ne puisse dire : « Je suis meilleur que cet homme là » ! Et cette affirmation : « Je n'ai pas entrepris mes Confessions pour taire mes sottises ». Si l'on compte l'abandon de ses enfants et les soupçons qu'il porte à nombre d'amis et de proches, les sottises sont effectivement légion.

 

Son libraire Rey l'a poussé à écrire des Mémoires. Ce seront plutôt des confessions « dont jamais je n'aurais à rougir devant personne », douze livres rédigés en deux fois entre 1765 et 1770. « J'avais toujours ri de la fausse naïveté de Montaigne, qui, faisant semblant d'avouer ses défauts, a grand soin de ne s'en donner que d'aimables. »

 

De nobles protectrices

 

On peut s'étonner du nombre d'aristocrates qu'a fréquentés le philosophe ami de l'égalité. Dans cette société d'Ancien Régime c'est néanmoins indispensable pour qui veut atteindre quelque célébrité. Dans ce milieu favorisé il trouve une série de protectrices voire de femmes amoureuses. Sa première protectrice, Madame de Warens, fait son éducation sentimentale. Il l'appelle « maman » — noter que sa mère était décédée en le mettant au monde. Elle fait de lui un catholique (provisoirement) et l'encourage à devenir musicien. Alors il tente de vivre de son art à Paris où il rencontre Diderot et devient écrivain.

 

Amie des Encyclopédistes, Madame d'Épinay l'installe à l'Ermitage dans la forêt de Montmorency en 1756. Il y trouve toutes facilités pour écrire. Sa cousine de vingt-sept ans, Sophie d'Houdetot devient le grand amour de sa vie mais elle ne lui cédera pas. Après sa rupture avec Madame d'Houdetot, Rousseau écrit : « je fus sage et il était temps à cinquante ans ». Charmé par la duchesse de Boufflers, il se retient et, dit-il : « je fis mes adieux à l'amour pour le reste de ma vie ». C'est elle qui le met en relation avec Hume.

 

Quand Madame de l'Épinay l'éloigne c'est la maréchale de Luxembourg qui prend la relève : « tous les matins je me rendais chez elle sur les dix heures » — il s'agissait de lui lire Julie. Le roman fait un tabac. Le maréchal de Luxembourg installe l' auteur dans une dépendance de son château de Montmorency — « J'étais peut-être alors le particulier de l'Europe le mieux et le plus agréablement logé » — au temps où il écrit Emile ou de l'éducation, livre qui provoque la condamnation de son auteur. Dans sa fuite vers la Suisse, il passe par Yverdon où Madame Boy de la Tour lui attribue un refuge à Môtiers dans le Jura suisse.

 

Des amitiés et des brouilles

 

Monté à Paris à 28 ans pour vivre de la musique et de la copie de partitions, il connaît le succès avec Le Devin du village donné à l'Opéra. C'est le point de départ de sa carrière mondaine puis d'écrivain, d'abord essayiste. En 1749 l'Académie de Dijon lance un concours : « Le progrès des Sciences et des Arts a-t-il contribué à corrompre ou à épurer les moeurs ? » En 1750 il en est le lauréat avec son Discours sur les sciences et les arts que Diderot l'a encouragé à écrire. Deux ans plus tard avec le Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité parmi les hommes il rejoint le groupe des penseurs à la mode. Le principe de nature et l'idée d'égalité ne vont plus le quitter.

 

Mais comment rester “naturel” dans cette société aristocratique ? Déjà à Venise auprès du représentant de la France, plus tard à Paris dans les salons de l'aristocratie, il laisse voir sa difficulté à faire le mondain. Flatter et se plier aux convenances lui pose toujours problème. Invité à souper chez le maréchal de Luxembourg, il refuse car « on y soupait trop tard pour moi ». Cette gêne relationnelle se manifeste dans la conversation, summum de l'art mondain du temps des Lumières. Il n'a pas l'art de l'à-propos. Les idées lui viennent après coup. « Le tour d'esprit de madame de Verdelin était par trop antipathique avec le mien. Les traits malins et les épigrammes partent chez elle avec tant de simplicité, qu'il faut une attention continuelle, et pour moi très fatigante, pour sentier quand on est persiflé ». Souvent il évoque son « embarras à parler », ou encore : « Si je me force à parler aux gens que je rencontre, je dis une balourdise infailliblement ; si je ne dis rien, je suis un misanthrope, un animal farouche, un ours ». Il jalouse les personnes qu'il introduit auprès de ses intimes quand elles sont de nouveau reçues : tel ce Coindet, ce personnage qui « ne tarda pas à s'introduire en mon nom chez Madame de Verdelin, et y fut bientôt, à mon insu, plus familier que moi-même ». Sans surprise, Palissot le tourne en ridicule dans La comédie des philosophes.

 

Ses maladresses agacent ses amis : « L'objection que j'avais faite au baron d'Holbach, qu'il était trop riche » en est un exemple. Il se brouille avec à peu près tout le monde avec son soupçon permanent, sa paranoïa. Il s'imagine que ses amis et amies, ses protecteurs, se changent en ennemis : Grimm (« homme faux par caractère qui ne m'aima jamais... mon plus cruel calomniateur »), Diderot (« indiscret et faible » et dont la femme « était connue de tout le monde pour une harengère »), d'Alembert, Madame d'Épinay, voire Madame de Luxembourg quand il est obligé de s'exiler.

 

Conséquence de ces brouilles, se faire plaindre est un leitmotiv. « Tout le reste de ma vie n'a plus été qu'afflictions et serrements de cœur » ou encore « faire des livres, métier funeste auquel j'avais déjà renoncé » dit-il au temps de son exil suisse alors qu'en réalité il est en train d'écrire les Lettres de la Montagne, l'œuvre qui a provoqué son expulsion des Cantons suisses malgré la protection théorique du roi de Prusse, suzerain de la principauté de Neufchâtel.

 

Un bon sauvage

 

C'est l'homme qui abandonne ses enfants ! Pourtant Thérèse Le Vasseur lui a été une compagne fidèle jusqu'au bout, malgré tous les reproches qu'il lui fait et plus encore ceux qu'il adresse à sa belle-mère. Les enfants qu'il a eu de Thérèse sont abandonnés pour éviter, dit-il, la mauvaise influence de sa belle-famille. Un peu ours le Rousseau...

 

Ses amis d'Holbach et Diderot ne croyaient pas qu'il supporterait sa retraite à l'Ermitage, qu'il craquerait et reviendrait dans les salons parisiens. Ils avaient tort. Au contraire, bien des aristocrates, comme le prince de Conti, viennent lui rendre visite. Herboriser, plaisir découvert avec Madame de Warens, revient comme une distraction à l'Ermitage, et plus tard comme une saine occupation à l'île Saint-Pierre quand diverses autorités helvétiques et des paysans locaux fanatisés l'importunent. « J'aurais voulu être tellement confiné dans cette île, que je n'eusse plus de commerce avec les mortels ». Là « le ravissant spectacle de la nature » permet d'effacer les noirceurs de la ville dont les habitants « qui ne voient que des murs, des rues et des crimes ont peu de foi ».

 

Jean-Jacques bon sauvage revêt alors l'habit du commerçant itinérant arménien, avec la toque qu'on voit sur les portraits, tout en demandant à Madame Boy de la Tour de lui procurer des fourrures et des ornements pour que les naturels de Môtiers ne le prennent pas pour « un saltimbanque » selon la formule de son ennemi personnel Voltaire. Les deux philosophes les plus connus de leur époque se détestent ! « Je ne vous aime point, monsieur » écrit Rousseau en lui reprochant d'avoir publié une lettre privée, intervention que Voltaire aurait pris comme « une insulte abominable ».

 

Bien qu'exilé et bougon, Jean-Jacques reçoit dans son exil suisse quantité de visiteurs. Sans doute selon lui, il y a des bourgeois qui n'ont pas lu ses livres, mais ils viennent voir une curiosité, « admirer l'homme illustre, célèbre, très célèbre, le grand homme, etc » mais aussi « des cagots, des quidams de toute espèce [venus] de Genève et de Suisse, non pas comme ceux de France pour m'admirer et me persifler, mais pour me tancer et catéchiser ». Au milieu du désert culturel le philosophe se sent comme une attraction touristique, une bête curieuse, mais aussi tel un diable à pourchasser.

 

 

Jean-Jacques Rousseau : Les Confessions. Deux parties publiées à titre posthume en 1782 et 1789. Première édition intégrale en 1813. Parmi les nombreuses éditions, le Folio classique de 2009 compte 864 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #SIECLE DES LUMIERES, #RELIRE LES CLASSIQUES
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