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Lucien Rebatet est honorablement connu pour une passionnante Histoire de la Musique parue en 1969. Mais il est aussi le sulfureux auteur des Décombres. Commencé en juillet 1940 et achevé en mai 1942 cet épais témoignage est l'une des productions les plus connues du milieu collaborationniste. Il se présente comme une série de chapitres autobiographiques que Rebatet termine sur un peu plus de cent pages par une suite thématique portant principalement sur ses haines.

 

Maurras admiré puis détesté

 

Au début, son grand homme, son modèle, c'est Charles Maurras. Après son service militaire dans Mayence occupée, Rebatet tient des rubriques culturelles à l'Action française. Il rejoint Je suis partout en 1932, passant de la presse royaliste à la presse qui sera dite collaborationniste en opposition au Maréchal Pétain jugé trop réticent face aux occupants et mou dans ses réformes. Cet éloignement de Maurras se manifeste après le 6 Février 1934 quand il apparaît que les camelots du roi ont été freinés par leur leader plus fort en paroles cinglantes contre la IIIe République qu'en actions visant à renverser « la gueuse ». Il est reproché aussi à Maurras son anti-germanisme alors que Rebatet et ses amis, tel Brasillach pour prendre le plus connu, se sont mis à admirer Hitler après avoir jugé positivement Mussolini. Pour tout dire, Maurras lui paraît un vieux rétrograde dépassé par les événements. Lui, c'est tout le contraire : « Wagnérien, nietzschéen, antisémite, anticlérical, connaissant par le menu le folklore national-socialiste, j'étais naturellement désigné pour jouer dans notre bande le rôle de S.A. d'élite. Je m'en acquittais avec des Horst Wessel Lied et des “Heil” retentissants… » Mais après l'été 40, c'est finalement l'étiquette du fascisme que l'auteur préfère utiliser, « parce qu'il est latin ».

 

 

L'expérience du désastre

 

Les Décombres comprennent une attaque en règle contre la République parlementaire et les gouvernements des années 34-40, mais pas seulement contre le Front populaire et Léon Blum. Il tonne contre la politique militaire et étrangère de la France qui s'est embarquée avec les Tchèques et les Polonais dans une alliance qu'elle ne pourra pas honorer. En journaliste politique, il reproche au Quai d'Orsay de rester à la remorque du Foreign Office, autrement dit des Juifs et des ploutocrates de la City pour reprendre son analyse. La France serait entrée en guerre parce que manipulée par les Anglais quand Chamberlain cessa de considérer Hitler comme un gentleman. Churchill devient alors sa bête noire. D'ailleurs les « Anglo-Saxons » sont dénoncés en permanence. Rebatet s'offusque de voir en 41, 42, et même dès 40, des Français attendre l'arrivée des Américains, de leurs avions et de leurs chars.

 

Rebatet raconte aussi sa guerre, qui n'a rien de glorieux. Mobilisé en 39, Lucien Rebatet se retrouve successivement à poireauter au pied des Alpes avec des adeptes du pernod, puis muté au 5ème bureau, rue de Tourville, « à l'ombre du dôme des Invalides », à tailler des crayons et ranger des faux passeports. Le voici ensuite entre Poissy et Chambourcy avec les Tringlots, c'est-à-dire un régiment du Train qui ne sait quoi faire de ses camions neufs importés des USA, avant de fuir vers la Vendée et la Dordogne tandis que le ministre Georges Mandel fait arrêter certains de ses amis parisiens. Rebatet se fait bientôt le spectateur atterré de la débâcle militaire et des routes de l'exode de mai-juin 40. « Nous dépassions les burlesques de l'exode, des petits vieux à barbiches qui prétendaient véhiculer une nichée de six ou sept brus, filles, sœurs, cousins et lardons, avec la cargaison afférente, à bord d'une pétrolette de cinq chevaux et de vingt-cinq ans d'âge, toussant et crachant sur ses roues branlantes, une véritable auto pour Laurel et Hardy... » L'homme a du style mais la République s'effondre. « Cette fois, il était permis de jubiler ouvertement. La défaite payait mieux que la victoire ! Elle jetait bas l'ignoble parlementarisme. Un triomphe militaire ne nous eût jamais donné ce bonheur ».

 

 

Les haines de Rebatet

 

L’État-major qui a perdu la guerre en 1940 est étrillé par Rebatet qui multiplie les accusations d'incompétence contre les généraux français, spécialement Weygand, ou encore Laure dont la nomination à la tête de la Légion des Combattants par Pétain lui paraît scandaleuse. Les généraux sont restés en retard d'une guerre ; ils n'ont pas vu l'importance des avions et des divisions blindées, ils ont bêtement dispersé les chars ; et, facteur aggravant, ils n'ont pas assez pesé sur les gouvernements pour éviter l'aventure tragique en septembre 1939. L'État-major est ensuite responsable d'avoir engagé en Belgique et jusqu'en Hollande le meilleur de l'armée française si bien que les Panzer de Guderian l'ont isolée par leur percée de la Somme jusqu'à la Manche. Les troupes manquaient aussi de patriotisme et de raisons de se battre. Quant aux politiques ils n'ont pas compris qu'au lieu de condamner l'Italie de Mussolini on devait s'appuyer sur elle pour empêcher Hitler de déclencher la guerre à l'Ouest.

 

Mais quand Rebatet rédige son livre la France est occupée aux 2/3 et Pétain règne depuis l'Hôtel du Parc à Vichy. Aussi assiste-t-on dans Les Décombres à une démolition complète du régime qui a prétendu lancer une « Révolution nationale ». Que le lecteur n'en soit pas surpris : le régime maréchaliste déçoit Rebatet qui ne tient que quelques semaines à la radio de Vichy et regagne Paris dès l'automne pour rejoindre ses amis collaborationnistes. Selon lui, Pétain s'entoure de conseillers civils et militaires incompétents, d'affairistes, laisse la bureaucratie s'aggraver, manque la formation d'un Parti unique et puissant, et pire, laisse l’Église développer son influence coupable. Après le ralliement à la République en 1892 qu'il leur reproche d'ailleurs, les évêques se sont en effet ralliés massivement à Pétain : « Le haut clergé français forme, depuis trente années, l'une des plus remarquables collections de laquais et de chiens couchants, rampant devant le pouvoir, que puisse offrir l'histoire de la lâcheté humaine ». On sait aujourd'hui que plusieurs évêques se sont dressés contre Pétain à propos du sort réservé aux Juifs.

 

La haine des Juifs est évidemment un fil conducteur du livre. L'antisémitisme de Lucien Rebatet est associé à son antiparlementarisme. « Le Juif était l'universel profiteur de la démocratie », affirme-t-il, à cause du « dogme insane de l'égalité des hommes ». Dans un bref chapitre intitulé « le Ghetto », le polémiste préconise de « déjudaïser » la France. Application pratique : il propose qu'on brûle les tableaux de Camille Pissarro, l'un des fondateurs de l'impressionnisme ! L'antisémitisme du régime de Vichy n'est pas convaincant à ses yeux ; il passe quasiment sous silence les lois anti-juives de Vichy, connues comme premier et second statut des Juifs. Il faut simplement, que les Juifs aillent s'installer ailleurs, en Afrique ou en Sibérie ! Aussi Rebatet ne parle pas d'extermination alors qu'elle commence dans le Reich — ce qui s'explique sans doute par la date d'achèvement de la rédaction des Décombres, mai 42.

 

Une condamnation à mort

 

Dans tout ce répertoire d'Extrême-Droite, best-seller de l'Occupation, on ne trouve étrangement à peu près rien contre les immigrés, les « métèques » comme on disait vers 1930. Ne cherchez pas pourquoi ! C'est que la femme qu'il a épousée en 1933 à Galatz, Véronique Popovici, est roumaine. Quand Rebatet, qui a travaillé à Je suis partout jusqu'à l'été 44 avant de suivre Céline à Sigmaringen, a été condamné à mort, comme symbole de la presse collaborationniste, c'est son épouse qui a mobilisé le milieu littéraire pour qu'il échappe à la guillotine et Vincent Auriol l'a gracié en 1947. Libéré en 1952 il a poursuivi sa carrière littéraire et est décédé en 1972... pile l'année de la fondation du Front National !

 

 

Lucien Rebatet : Les Décombres. - Éditions Denoël, 1942, 664 pages. Réédité par Robert Laffont dans une édition critique en 2015, collection Bouquins, avec d'autres textes, sous le titre Le dossier Rebatet, 1131 pages.

 

 

Tag(s) : #AUTOBIOGRAPHIE, #HISTOIRE 1900 - 2000, #LITTERATURE FRANÇAISE, #SECONDE GUERRE MONDIALE
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