C'est le second volume des aventures de Maqroll le gabier, le personnage récurrent dont Alvaro Mutis nous a fait cadeau dans les années 1980. Ces courts romans ont été publiés par Sylvie Messinger (à commencer par La Neige de l'Amiral, prix Médicis étrangers en 1986), puis par Grasset dans la collection "Les Cahiers rouges".
Ça commence mal : le capitaine Wito se suicide à bord de son cargo en arrivant ruiné en rade de Cristobal. L'homme qui a l'accent de Brooklyn, bien que natif de Danzig, a jadis transporté pour Maqroll et son ami Abdul Bashur de profitables cargaisons illicites entre Chypre et la Palestine. C'était au temps où l'épouse du capitaine, une juive de Rotterdam, surnommée Wita par l'équipage, avait fait repeindre d'un jaune criard mais recherché la coque du "Hansa Star". Etait-ce là l'origine des déboires de l'armateur ? Sans doute pas. Mais ce suicide jette à terre Maqroll, totalement désargenté, sur les quais de Panama. L'aventurier est sur le point de devenir clochard quand, un soir d'orage, la pluie le pousse dans le hall d'entrée d'un hôtel...
Et là comme par hasard il "tombe" sur Ilona. La belle Ilona qu'on reconnaît à son accent triesto-polonais s'appelle Grabowska ou Rubinstein selon les circonstances, et c'est déjà à cause de la pluie que Maqroll l'avait rencontrée dans une crêperie d'Ostende. « Elle avait la faculté d'apparaître et de disparaître de nos vies.» Maqroll et Ilona se retrouvent d'abord comme amants, puis comme chefs d'entreprise, si j'ose dire. Ils fondent une maison de rendez-vous destinée à les renflouer, eux deux, et aussi Abdul Bashur, quoique sa morale de Levantin répugne à ce procédé. Alors défilent les clients des… hôtesses de l'air de diverses compagnies aériennes supposées faire escale à Panama. La "couverture" dure quelque temps sans problème. Mais les ennuis surviennent toujours dans les aventures de Maqroll qui, invariablement, courent à l'échec. Ici, la menace s'est matérialisée en une autre fille de l'Adriatique, Larissa, dont l'histoire constitue une nouvelle à l'intérieur du roman. A bord du "Lepanto", le cargo rouillé qui l'a amenée de Palerme, elle a rencontré un officier de Napoléon Ier en route pour l'île d'Elbe et un diplomate de la Sérénissime ! L'auteur évoque aussi l'histoire, celle des ducs de Bourgogne auxquels s'intéressait déjà Maqroll dans "La Neige de l'Amiral".
Pourtant, avec ce roman, porté au cinéma en 1996 par Sergio Cabrera, comme avec ses autres textes, Alvaro Mutis nous mène de port en port, avec l'illusion de réviser notre géographie du commerce maritime, et l'assurance de suivre les escales amoureuses de Maqroll. Ses héroïnes semblent calquées sur des actrices sorties des films de Hollywood dont il assurait la diffusion en Amérique Latine. Certains lecteurs verront peut-être une parenté entre Maqroll el gaviero et Corto Maltese mais le personnage d'Alvaro Mutis est moins susceptible de trouver des interlocuteurs chez les beachcombers et coureurs des mers que dans des figures surgies de l'exotisme paradoxal des ports de commerce à l'ombre d'épaves rouillées mais photogéniques. L'influence de Joseph Conrad est patente et ce n'est pas pour me déplaire.
• Alvaro MUTIS : Ilona vient avec la pluie
Traduction d'Annie Morvan. Grasset, 1992, rééd. 2002 ; 224 pages.