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« Tout empire périra » écrivait Jean-Baptiste Duroselle en 1981. Mais toutes les fins d'Empires ne se ressemblent pas. Auteur d'une biographie du chevalier de Borda, un célèbre officier érudit du Siècle des Lumières, Gonzague Espinosa-Dassonneville propose une passionnante lecture critique de la disparition de l'empire colonial espagnol aux Amériques.

 

De tous les personnages de l'aventure politique qui transforma l'empire espagnol d'Amérique en une constellation d’États souverains, Bolivar est sans doute le plus connu du lecteur français ou européen, sinon le seul, en raison de sa récupération par l'actuel régime dictatorial du Venezuela — sinon par le fait qu'une république andine porte son nom.

 

Dans son histoire de la marche vers l'indépendance de l'Amérique espagnole Gonzague Espinosa-Dassonneville nous présente un grand nombre de célébrités régionales, à l'échelle des audiences et des vice-royaumes qui composaient l'empire, et qui ont joué un rôle dans la désintégration — ou « balkanisation » pourrait-on risquer presque sans anachronisme — de cet immense espace continental, contrairement à ce qu'il s'est produit plus au nord à partir des treize colonies anglaises regroupées par George Washington.

 

Mais cette « chute d'un empire » ne s'entend pas qu'à partir des données locales et du phénomène pittoresque de roman national (historia patria) qu'ont fabriqué des lendemains d'indépendances souvent peu glorieux. Cette chute n'est pas la conséquence de la dénonciation par les élites américaines des abus des Bourbons dans leur empire, elle n'est pas le résultat de la conversion des Créoles à l'idéologie des Lumières à la fin du cycle des Révolutions atlantiques. Elle est d'abord et surtout due au chaos politique qu'a créé en Espagne l'année horrible que fut 1808 : celle de la double abdication des Bourbons Charles IV et de son fils Ferdinand VII, celle de l'intervention catastrophique de Napoléon envoyant l'armée de Murat à Madrid pour imposer son frère Joseph Bonaparte sur le trône. Cette date essentielle a lancé dans la tourmente les deux hémisphères de l'empire espagnol alors que la marine espagnole avait été pulvérisée par des batailles perdues, Trafalgar entre autres.

 

Tandis qu'en Espagne le peuple se révoltait contre l'occupant et qu'une Junte centrale se réunissait Cadix pour rédiger une Constitution libérale, comment les différentes composantes de l'empire réagissaient-elles ? D'une manière générale la Révolution française était prise comme un contre-modèle, à éviter. Raison pour laquelle les Créoles ne se précipitaient pas vers un idéal républicain à opposer tant au libéralisme prôné par la Junte puis les Cortes qu'à la tradition conservatrice des Bourbons. De son côté la majorité des populations indiennes semblait se satisfaire d'un idéal monarchique puisque l'administration des Bourbons d'Espagne leur évitait une domination excessive des Créoles forts de leurs immenses domaines ruraux, ou de leur place éminente dans la société marchande à Lima, Carthagène, etc.

 

A partir de 1808 les allégeances locales se dispersent entre d'une part un Ferdinand VII prisonnier, soutenu par les Péninsulaires, d'autre part la Junte et les Cortes aux valeurs libérales plutôt choisies par l'élite créole, voire la progression des groupuscules républicains par manque de candidats à la couronne d'un État américain. Entre 1810 et 1820, les conflits se multiplient et font des chefs de guerre les hommes-clés de l'avenir du continent : qu'on pense à San Martin, O'Higgins, Hidalgo, Iturbide et tant d'autres. Même si les soldats et les officiers n'hésitent pas à changer de camp, de sanglantes batailles marquent cette longue transition chaotique qui conduit aux indépendances. Le 9 décembre 1824 l'armée de Sucre remporte à Ayacucho la dernière bataille décisive qui balaie définitivement la domination espagnole.

 

Contrairement aux Bragances qui s'installent à la tête d'un Brésil souverain, les Bourbons d'Espagne n'ont pas songé à fixer leur dynastie en Amérique. L'Espagne de Ferdinand VII restauré par l'armée anglaise a cessé d'être une grande puissance. Elle se divise durablement entre conservatisme et libéralisme. En dehors du Mexique, ses anciennes colonies seront longtemps elles aussi à la recherche d'une solution politique stable. Quand cet ouvrage s'achève, en 1825, Cuba et Porto-Rico restent fidèles à Madrid. Partout l'influence commerciale de la Grande-Bretagne s'est accrue, tandis que le président nord-américain Monroe vient d'apporter une vision impérialiste sur l'ensemble du continent, future “chasse gardée”.

 

 

Gonzague Espinosa-Dassonneville : La chute d'un empire. L'indépendance de l'Amérique espagnole. Passés composés, 2023, 383 pages. L'ouvrage dispose de cartes simples mais utiles et d'une bibliographie copieuse, tant en espagnol qu'en français.

 

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1789-1900, #AMERIQUE LATINE, #ESPAGNE
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