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D'abord, il y a eu "Guerre". Et voici maintenant "Londres", « le manuscrit le plus volumineux de l'ensemble d'inédits de Louis-Ferdinand Céline réapparus au cours de l'été 2021 » nous dit l'éditeur.

On a laissé Ferdinand, blessé et réformé à Peurdu-sur-la-Lys. Il y a rencontré la belle Angèle, la prostituée qui s'est trouvé un protecteur fortuné en la personne d'un officier anglais le major Purcell, par ailleurs industriel. Le couple, installé dans une villa à Maida Vale, l'a invité à les rejoindre à Londres. La vie sexuelle de Ferdinand devrait virer au beau fixe malgré les bourdonnements qui logent dans sa tête depuis sa blessure.

 

Ferdinand habite au dernier étage d'une maison de Leicester street. Or l’immeuble est surtout le quartier général d'un groupe de proxénètes et de filles de joie, principalement venus de France, et dominé par la personnalité de Cantaloup le sympathique et volubile maquereau originaire de Montpellier. En plus de nombreuses prostituées menées à la baguette par Ursule, d'autres personnages hauts en couleurs viennent s'agréger à cette tribu la rendant encore plus hétéroclite, tels Borokrom l'anarchiste bagarreur recherché par la police russe, et le bon juif Yugenbitz, un docteur fort utile pour réparer les corps de tout ce petit monde irrégulier, suite aux bagarres d'ivrognes notamment. Citons encore deux braves excentriques britanniques, Yorick le vieil écossais en kilt qui navigue à merveille dans le brouillard londonien, et Lawrence Gift le capitaine et propriétaire foldingue d'un château où plusieurs des personnages du roman convergent en plein hiver pour une fête inoubliable où Ferdinand leur raconte les aventures du roi Krogold.

 

Le roman du séjour de Ferdinand à Londres en pleine guerre mondiale est une suite de craintes d'arrestation et d'expulsion vers la France et le front pour plusieurs individus en sursis à moins qu'ils ne soient déserteurs. Mais ce sont les mauvaises fréquentations et les actes de délinquance qui font “tomber” la plupart d'entre eux. Bagarres, faux papiers, trafic de fausse monnaie, ou encore recel de joaillerie volée, s'ajoutent aux délits de prostitution. Le temps de guerre fait vaciller la morale. Les lois de la guerre aussi sont bousculées par les gaz de combat : l'ingénieux major Purcell invente des masques à gaz et malheureusement les essaie lui-même, délaissant Angèle, mauvaise affaire pour les finances du groupe qui perd peu à peu des filles, des gagneuses. Le pire est sans doute l'arrivée de Julien dit Moncul, prêt à tout pour sortir du cauchemar de la guerre de tranchée. Les péripéties tragiques s'enchaînent jusqu'au meurtre. La première victime du roman est l'ex-flic et vrai proxénète nommé Bijou. Il y a même un chat dans l'histoire, un lointain précurseur de Bébert dans Rigodon, et c'est ce petit Mioup qui mettra le feu à la maison d'Angèle.

 

Londres se caractérise par une grande richesse thématique. Outre les orgies de sexe et d'alcool, outre la violence gestuelle et verbale des acteurs, la ville elle-même est l'objet de nombreuses descriptions. La City, les docks, les parcs, les pubs, plusieurs quartiers, places et grandes artères forment une géographie réaliste de la capitale d'un empire à son apogée. Mais Londres est en guerre. Venus de tous les horizons les soldats contribuent à la prospérité des souteneurs. Des alertes fréquentes annoncent le survol de Zeppelins porteurs de bombes incendiaires — une génération avant le Blitz.

 

 

Le roman comporte trois parties inégales. Londres I occupe la moitié du livre et sa rédaction apparaît plus achevée que Londres II et III. Céline l'a vraisemblablement rédigé en 1935 comme l'indique à quelques reprises le rappel des vingt années qui ont passé depuis son séjour à Londres. Cet épisode de sa vie a donné la base d'un roman plein d'inventions et d'exagérations réjouissantes dans l'intrigue comme dans l'écriture — largement argotique et défiant la syntaxe usuelle autant que les bonnes mœurs. "Guignol's Band" constituera une autre fiction basée sur ce séjour.

 

Voilà une lecture éprouvante et excitante à la fois, mais incontournable pour le public averti de tous les fans de Louis-Ferdinand Céline, lui qui a effectivement vécu à Londres, aimé cette ville, et fréquenté des gens du “milieu” qui l'ont inspiré pour cet ouvrage partiellement autobiographique. En annexe, une très utile liste des personnages accompagne un lexique qui permet de mieux comprendre l'argot célinien...

 

 

Louis-Ferdinand Céline : Londres. Gallimard, 2023, 557 pages. Présenté et annoté par Régis Tettamanzi.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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