L'art de voyager a suscité une grande production de traités, d'ouvrages épais et de minces libelles. Ce sont donc toutes sortes de guides pour le voyageur, le touriste, le pèlerin même, que Sylvain Venayre a dû compulser pour composer cet ouvrage formidable qu'il a intitulé « Panorama du voyage 1780-1920 », en utilisant plus de 1500 sur les 2739 listés par ses soins à la BNF.
L'époque précédente avec eu le goût du voyage instructif, sur le modèle du Grand Tour des jeunes aristocrates anglais, ou motivé par les découvertes scientifiques, avec les expéditions maritimes de Cook ou de Bougainville. L'histoire en a surtout retenu des voyages exceptionnels. Progressivement, dans les années 1800-1850, émerge une pratique du voyage moins exceptionnelle, concernant un nombre croissant de personnes qui fera parler de « démocratisation », dans des conditions matérielles plus faciles suite à la « révolution » des transports, et pour des motifs infiniment plus variés semble-t-il. La date finale de 1920 correspond au début d'une autre période, marquée par la généralisation progressive des congés payés et vacances dans le cadre de la société de consommation.
Avant la construction des grandes lignes de chemins de fer suite à la loi de 1842, on a voyagé en diligence des Messageries nationales et par coche d'eau, notamment sur la Loire et la Seine. Comme l'état des routes s'est amélioré sous la Restauration, on n'a pas attendu les trains du Second Empire pour s'inquiéter de la vitesse du voyage. Malgré l'accident ferroviaire de 1842 près de Meudon — il coûta la vie à 51 personnes dont Jules Dumont d'Urville de retour des mers du Sud — les Français ont voyagé avec plus de sécurité et selon des horaires précis que communiquait l'indicateur de Napoléon Chaix à partir de 1849. On circula aussi plus librement à l'intérieur du pays : les passeports délivrés par les préfets ou les maires cessèrent d'être utiles dès le milieu du siècle. Voyager pour vendre se répandit : le commis voyageur, à l'image de l'Illustre Gaudissart de Balzac, devint un personnage familier des passagers des omnibus et des clients des auberges. Et souvent ce touriste provoque l'ironie de ses concitoyens, les caricatures ne manquent pas, surtout s'il est Anglais ou Parisien.
A partir de 1830, les conquêtes coloniales ont contribué à vulgariser les horizons lointains et à répandre la peinture orientaliste, de concert avec une littérature romantique tournée vers le récit de voyage (Chateaubriand, Lamartine, Gautier, Nerval, Fromentin...) en attendant L'Immoraliste d'André Gide en voyage à Biskra dans l'Algérie de 1902. L'art de voyager a fait s'accumuler une littérature soucieuse de préparer les voyages à coups de livres de conseils, de géographie, de cours de langue, de récits de voyages, jusqu'à ce qu'une réaction inverse vienne recommander l'impromptu, la surprise de la découverte, le voyage de loisir. C'est ainsi qu'apparut, en même temps que la tendance à la démocratisation, la recherche par les plus aisés des séjours en hôtel de luxe, appelé palace (comme le Ritz ouvert en 1898) sous l'influence de l'Angleterre dont la langue se retrouve souvent dans ce travail, qu'on pense au comfort devenu confort, au vocabulaire des sportsmen, concurremment avec d'autres termes venus de l'italien comme le casino ou le belvédère.
Les bains de bain démarrent à Dieppe et sur les côtes de la Manche dans les années 1820 et peu à peu, la desserte ferroviaire aidant, naissent sur toutes les côtes du pays les stations balnéaires, les stations thermales, les stations d'altitude où l'on soigne ses maux divers, à l'air pur loin des miasmes de la ville polluée. Mais la santé n'est pas tout : il faut des occupations et des loisirs et éviter l'ennui. Dès les années 1840-50, les guides Baedeker, Richard, Joanne et autres sont diffusés à l'intention des voyageurs — le guide Michelin viendra plus tard — tandis que les bibliothèques de gare sont inventées par Louis Hachette qui en obtient le monopole en 1852. Les agences de voyage se sont développées à l'instar de celle de Thomas Cook : sa réussite a été marquée par les expositions universelles. En 1878, Cook réussit à faire venir 75 000 visiteurs à l'Exposition du Trocadéro, affrétant trains spéciaux et liaison maritime express entre Douvres et Calais. Se multiplient en même temps les "trains de plaisir" vers les stations balnéaires. En même temps, dans les lieux qui se définissent comme touristiques, et d'abord en Italie, le cicérone s'apprête à dispenser son savoir aux visiteurs curieux durant la « saison ».
Passant de l'instruction et de la curiosité au loisir, ce panorama du voyage offrant au lecteur une possibilité presque infinie de découvertes paraît souvent épuiser le sujet. Il n'en demeure pas moins que restent en dehors les voyages contraints, ceux des conscrits, ceux des professionnels du spectacle, des compagnons du Tour de France, ou encore ceux des hommes politiques que ce soit Napoléon III ou les présidents de la IIIe République.
• Sylvain Venayre : Panorama du voyage, 1780-1920. Mots, figures, pratiques. - Les Belles Lettres, 2012, 648 pages. Notes, chronologie, index. (Pas d'illustrations).