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Après "L'intérieur de la nuit" et "Contours du jour qui vient", ce roman complète le triptyque consacré à l'âme du Continent africain. Au Mboasu, en Afrique équatoriale, Isilo et ses comparses ont kidnappé et enrôlé neuf petits garçons et un adolescent, Epa, tous du village d'Eku. Eclairé par des ombres qui exigent reconnaissance, aidé d'Ayané, "la fille de l'étrangère", Epa réussit à échapper aux rebelles et à ramener les enfants à Eku.

La romancière convoque les rivalités haineuses de petits chefs locaux plus assoiffés de pouvoir que d'engagement politique national ; s'ajoutent corruptions, meurtres et viols : le Mal, sous toutes ses formes, habite les hommes du continent noir. Se glissent des présences magiques, des personnages jaillis d'une autre dimension – telle Epupa la folle, incarnation des esprits des ancêtres. Elle mène le roman à sa happy end en l'élevant au conte merveilleux. L'auteur éclaire, dans les dernières pages, le sens symbolique de son récit et y adjoint une postface justificatrice de son titre comme de l'ensemble du triptyque.

Tous les Africains portent aujourd'hui la responsabilité des maux dont ils souffrent : leur discours victimaire n'est que lâcheté. Les kidnappings d'enfants viennent rappeler les razzias d'ancêtres lors de la traite négrière. Jetés dans "cet immense cimetière qu'est l'Atlantique" selon Edouard Glissant, leurs corps privés de sépulture continuent d'entraver leurs âmes, les empêchant d'accéder à la sérénité de la mort. Ces âmes souffrantes incarnent le Mal pour harceler les vivants coupables du péché d'oubli : "Nulle stèle ne nous conte aux vivants"."Les défunts privés de sépulture ravagent la vie". En outre, "le passé ignoré confisque les lendemains" : les Africains ont perdu "la trace de leur propre sang". Ainsi, les "aubes" devenues "écarlates", rougies de crimes, ne redeviendront "d'or" que si le Continent noir érige un monument à la mémoire de ses morts noyés, dont les exhalaisons vaseuses et putrides imprègnent le quotidien. "Tant que la paix ne leur ser(a) pas accordée, ils la refuser(ont) au continent noir.

Ce roman, "sciemment chaotique" selon Léonora Miano, s'organise selon une solide construction narrative. Toutefois, le message qu'elle veut transmettre fige un peu son écriture : hormis les trois chapitres titrés "Exhalaisons" – contrepoint lyrique du choeur des ancêtres –, l'intention didactique contraint la syntaxe comme le lexique, déréalise parfois les propos de l'adolescent, pèse sur le discours sentencieux des dernières pages. On regrette le souffle et la puissance suggestive des deux précédents romans.

Le cri du Sankofa, oiseau mythique qui vole en regardant derrière, c'est celui des âmes oubliées de la traite négrière. Elles ne cessent de réclamer "ce linceul qui ne (leur) fut pas tissé" : "Qu'on nous donne la route!" supplient-elles. En les libérant, le Continent Noir se libérera de ses maux.

Léonora MIANO
Les aubes écarlates

« Sankofa cry »
Plon, 2009, 274 pages.
Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #AFRIQUE
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