C'est le miroir de la salle de bain moderne aussi bien qu'un aristocratique miroir ancien. Les œuvres reprennent les titres : Femme ou Vénus à la toilette, femme au miroir, nu au miroir, et bien d'autres variantes. L'idée générale est que le peintre a pris le nu pour sujet. C'est à la Renaissance que cela apparait. Au XXème siècle, Pierre Bonnard a souvent peint des nus devant un miroir. De nombreux peintres contemporains ont suivi.
La Renaissance et l'invention du Nu
Mon propos n'est pas d'insister longuement sur la nouveauté de la représentation du corps nu, masculin ou féminin. Le fait est bien connu. Le miroir ne vient pas "habiller" une nudité ou mieux mettre en scène un portrait. Il est l'attribut de la Femme ou de Vénus à sa toilette, comme on l'a vu dans la 2ème partie. C'est le corps de la femme qui prime.
Diane de Poitiers à sa toilette, c.1559, Musée Condé
Le nu couché passe pour une invention de la Renaissance. L'œuvre de Vélasquez — qui a été et reste très souvent copiée ou pastichée — pose un petit problème. Vénus se regarde-t-elle dans le miroir, ou bien, comme le suggère un correspondant, nous regarde-t-elle en train de la contempler ? Cela me plairait bien qu'elle me regarde via ce miroir que Cupidon lui présente... Mais j'ai un doute qui vient du "flou" de l'image de ses yeux dans le miroir. Est-ce un flou voulu par le peintre ou est-il dû à la médiocrité de ma reproduction ? L'ambiguïté n'est pas tranchée par un zoom sur le miroir (que permet le site de la National Gallery) !
Par contre, c'est clair, la "Suzanne au bain" du Tintoret ne nous regarde pas :
Pour ne pas quitter le Tintoret, passons à une autre œuvre, datant d'environ 1555, dont Daniel Arasse parle longuement dans "Cara Giulia", l'un des Descriptions figurant dans "On n"y voit rien" (Folio essais) :
Le miroir circulaire semble posé sur le meuble sous lequel Mars s'est caché (on voit sa tête casquée qui dépasse sur la droite…). Tandis que Cupidon dort – malgré le chien qui aboie – Vulcain s'approche de Vénus. Daniel Arasse a remarqué que le miroir ne reflète pas la position actuelle de Vulcain (un genou sur le lit) mais les deux : le miroir anticipe juste un peu sur l'action… Il faut donc retenir que le miroir permet de focaliser, d'attirer notre attention, sur un point particulier d'un tableau complexe. Très souvent cette œuvre (dont les titres varient selon les sources) n'est pas correctement reproduite : le miroir est coupé!
Les Nus de Pierre BONNARD
Marthe Bonnard est le modèle que l'on retrouve dans ces mises en scène répétitives devant les miroirs de salles de bain. Par ailleurs Pierre Bonnard a peint Marthe dans un nombre encore plus grand de toiles dans des scènes de toilette ou de bain mais où l'on ne retrouve pas de miroirs ! L'artifice du miroir permet de présenter des cadrages inattendus. Dans "La Cheminée" de 1916, le peintre représente une femme en buste qui vient se superposer à un nu horizontal accroché au mur. Dans ces différents nus, on note que le peintre ne se reflète pas dans ces miroirs. Sauf peut-être dans celui-ci :
Depuis le XXè siècle, le Nu banalisé
Le Nu s'est banalisé dans la peinture occidentale du XXè siècle, sans même attendre la libération des mœurs des Sixties. Le Nu a accompagné tous les styles représentatifs. Il a, pourrait-on dire, anticipé sur l'avalanche érotique de la presse masculine genre Playboy, et sur la marée pornographique induite par Internet dès la fin du siècle. Une sorte de "porno chic" avant l'heure.
De l'expressionnisme à l'hyperréalisme, le Nu a permis à tous les courants figuratifs de s'exprimer…
SLUYTERS - Nu au miroir - c.1920
Balthus : deux versions du Nu au miroir (c. 1936, 1939) |
Avec les surréalistes, tout est possible. Alice au pays des merveilles nous emmène derrière le miroir.
Ensuite, le miroir de la salle de bain n'est qu'un objet de grande banalité pour accompagner le Nu. Botero l'utilise de manière à montrer le regard de la femme à sa toilette.
L'artiste colombien a aussi eu recours à la lithographie pour illustrer le rapprochement du miroir et du nu. En voici deux exemple.
Pour Sara Scaramelli le regard même de la femme nous est caché alors que la prise murale est visible et s'intercale entre la femme et son image.
Enfin Peter Handel ne retient plus que le réalisme photographique dans une présentation réduite au face à face de la femme et du miroir.
Un correspondant qui se reconnaîtra et que je remercie me suggère de compléter l'œuvre de Peter Handel par celle de Richard Hamilton, "Descending nude" (2006). Un miroir aux formes artistiques inspirée de l'Art Nouveau et un "Nu descendant l'escalier" en clin d'œil à Marcel Duchamp.
Et puis un miroir sans nu pour revenir à la tradition de la nature morte. C'est ce que propose le catalan Xavier Valls :