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Roman de l'enfance, roman des années de formation, écriture autobiographique : avec ces seuls aspects « Noces et Funérailles » ne présenterait pas une forte originalité. Ce premier roman aborde pourtant avec audace certains sujets sensibles et use d'un ton, volontiers acide à l'égard de la famille, ou même critique à l'égard des politiques et des religieux. L'action se passe sous le règne de Hassan II et dans le nord du Maroc, non loin d'Oujda.

 

Le môme Idriss, le narrateur, déteste son père au point de le surnommer "le Dictateur". Au début du livre celui-ci rentre du "pays de De Gaulle" avec deux valises de cadeaux pour les voisins et parents mais presque rien pour sa femme et des sucreries son fils qui ne les aimait pas. Quand il ne travaille pas en France sur des chantiers, le Dictateur vit du trabendo avec l'Algérie. La famille tire aussi ses ressources de l'élevage des chèvres et Idriss est amené à s'occuper d'elles. Surtout Idriss adore sa mère, la "douce Aïcha". En l'absence du "Dictateur", les grands-parents, les tantes et les oncles jouent un rôle important, mais pas toujours idéal.

 

Quand le jeune oncle Mimoun entraîne Idriss à Oujda c'est pour l'emmener s'initier dans la maison close que tient Warda : « Mon oncle Mimoun avait à peine effleuré la porte qu'une vieille femme maigre, noire, borgne, édentée l'ouvrit, nous invitant à entrer. Nous dévalâmes les trois marches qui donnaient accès à un patio exigu où une assemblée de femmes et de jeunes filles étaient installées sur des poufs autour d'une table basse. Elle portaient pour tout vêtement un slip et un soutien-gorge, fumaient des cigarettes, buvaient du vin rouge, des bières blondes. Au milieu de ces gazelles, comme se plaisait à les appeler Mimoun l'endiablé…je sentis le sol se dérober sous mes pieds.»

 

Dans ce roman le narrateur aborde à plusieurs reprises le thème de la pédophilie, tant à l'école coranique du village, la madrasa où le "fquih" abuse de lui — et ensuite viole sa petite soeur Souad — qu'au collège public à Oujda. Sa vie personnelle en est durablement marquée et il est tenté par l'homosexualité. Plus tard le mariage d'Idriss sera conclu de manière précipitée au cours d'un week-end. On lui donne vingt-quatre heures pour choisir une épouse. La fête fut belle mais un échec ultra-rapide suivit les noces avec Nabila. Ce qui explique la moitié du titre.

 

Idriss découvre la littérature à l'école primaire et pas seulement les "Mille et une nuits". Quand l'ami Staline (!) lui suggère de lire "Le Pain nu" de Mohammed Choukri son père qui pour une fois a promis de lui faire plaisir passe une journée en ville sans le trouver : c'est un livre censuré. La mère est amie d'enfance de Djamel, un officier qui a comploté avec Oufkir contre le roi, et qui a été torturé à mort : un enterrement de plus auquel assiste de nuit le petit Idriss. La ferme est sur le chemin qui mène au cimetière... Ce qui explique l'autre moitié du titre.

 

Outre la description réussie du milieu familial et des usages de la société rurale marocaine, la construction du récit est intéressante pendant les deux premiers tiers du livre, tant que le narrateur est adolescent et tant qu'une continuité du récit lui donne son homogénéité et une unité de ton. À partir du récit des noces, plusieurs années plus tard, le récit s'éparpille un peu. Dommage. (L'auteur a publié un second roman "Le marin de Mogador" en 2008 aux éditions "Le Manuscrit".)

 

• Karim NASSERI : Noces et Funérailles. Denoël, 2001, 183 pages

 

Tag(s) : #MONDE ARABE, #MAROC
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