CHRIST IMBERBE ET CHRIST BARBU
Document interactif, 29 mars 2006.
Mahomet est donc nécessairement un barbu, il n'y a rien là de péjoratif. Ces réactions peuvent nous conduire à réfléchir à d'autres représentations : qu'en est-il du Christ dans l'esthétique occidentale ?
1 - L'usage est de représenter le Christ barbu
Prenons une représentation picturale récente du Christ, telle cette œuvre de Georges Rouault :
Nous avons là une image "habituelle" : le Christ est montré barbu. Cela ne choque ni ne surprend bien qu'on ne puisse s'appuyer sur une image contemporaine du Christ ! L'usage de montrer le Christ barbu est si bien établi qu'il ne nous vient pas à l'esprit qu'il ait pu en être autrement. En remontant dans les œuvres du passé il est aisé de confirmer cette pratique. Ainsi du Christ peint par Titien (Tiziano) :
Piero della Francesca, 1420-1492,
Londres, National Gallery
Mais au fait, depuis quand représentons-nous le Christ ?
2 - Le Christ des catacombes était imberbe
Catacombes de Commodille à Rome.
A droite Paul, barbe noire et crâne dégarni. IVè-Vè siècle.
Fin du IVè siècle, Grottes de Saint-Pierre, Vatican.
Le sarcophage du préfet de Rome Junius Bassus (milieu du IVè siècle) est également connu pour montrer un Christ imberbe. « Sa main droite, écrit J.-M. Spieser, se lève dans un geste de pouvoir. Sa main gauche tient un rouleau ouvert sur lequel on lit "Dominus legem dat" (3).»
Le christianisme avait été légalisé par l'empereur Constantin : la liberté religieuse accordée aux Chrétiens, on continua de figurer le Christ dans un contexte le plus souvent funéraire. Aux bas-reliefs des sarcophages et aux peintures murales des catacombes, la statuaire vint s'ajouter :
Première moitié du IVè siècle, Musée Chrétien, Vatican.
3 - D'imberbe, le Christ devint barbu sous l'Empire chrétien
Certes, les images d’un Christ imberbe ne disparaissent pas complètement, c’est à partir de ce nouveau type du Sauveur barbu que s'est imposée l’image devenue familière aux chrétiens à travers les siècles. Certains ont suggéré que la barbe s'est imposée parce qu'elle contrastait avec les représentations es vieilles idoles païennes qu'on devait oublier.
La figuration du Christ ne s'est plus limitée aux catacombes puisque celles-ci furent généralement abandonnées. Elle est venue illustrer les églises occidentales en suivant l'exemple des églises byzantines, notamment avec le Christ Pantocrator ("maître de toutes choses"), comme ci-dessous à Cefalu (Sicile) :
Christ pantocrator, bénissant de la main droite et tenant de la gauche un Évangile ouvert.
La figure christique est ici créée conformément à la tradition des moines mosaïstes du Mont Athos. Les inscriptions sont rédigées partiellement en latin et partiellement en grec, ce qui marque la fusion entre le christianisme oriental et le christianisme occidental. Texte latin: 1. Sur la voûte : « Fait homme, administrateur de l ’homme, rédempteur de l ’homme créé par moi, je juge comme Dieu incarné les esprits et les cœurs.» 2. Sur l ’Évangile : « Je suis la lumière du monde, celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais il aura la lumière de la vie. »
Le succès du Christ barbu ne cessera désormais de s'affirmer quel que soit le "support", parchemin (cf. ci-dessous, Trésor de la cathédrale de Laon, XIIIè siècle), ou peinture comme on l'a vu dans la première partie de ce billet.
4 - La persistance méconnue du Christ imberbe
Premier exemple, dans la crypte mérovingienne de l'Abbaye Notre Dame de Jouarre (Seine-et-Marne), le sarcophage de Saint Agilbert, s'orne d'un Christ au Tétramorphe (4).
Christ dans une mandorle sur le tombeau d'Agilbert à Jouarre (vers 675).
Canton des Grisons, Suisse
(1) L'historien suisse Jean-Michel Spieser a publié une note sur la représentation du Christ : de l'enfant à l'adulte. <http://www.unifr.ch/spc/UF/dec03/doss3.php#>
(2) "Les catacombes romaines et les origines du christianisme", éditions Scala, Florence, 1981.
(3) On peut traduire par : "c’est le Seigneur qui donne la loi". Si de récentes recherches suggèrent qu’elle vise avant tout à exprimer la divinité du Christ, on a longtemps cru que cette image représentait la remise de la loi à Pierre. D’où son nom de Traditio Legis note le professeur Spieser. — Source : cf. note 1.
(4) Site internet de l'office du tourisme de Jouarre.