Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Quand la BD s’est embourgeoisée en devenant un roman graphique pour adultes, un sous-genre n’a pas tardé à apparaître s’ajoutant à toutes les formes de fiction : l’essai documentaire. Avec “La Machine à influencer”, la journaliste new-yorkaise Brooke Gladstone nous a donné, il y a dix ans déjà pour la traduction, une histoire des médias documentée et pertinente enracinée dans le contexte unique des Etats-Unis.


 

Elle part du principe que « nous avons faim d’objectivité » et que la machine médiatique est « un gigantesque miroir de notre société ». Les Pères fondateurs ont certes inventé le premier amendement qui garantit la liberté d’expression, mais dès 1798 le pouvoir a décidé d’y mettre des limites avec le Sedition Act. Au fil des décennies, les exemples semblables ne manquent pas, surtout en temps de guerre ou en réponse aux attentats du Onze-Septembre avec le Patriot Act de George W. Bush.


 

La presse écrite a évolué en suivant les innovations techniques ; la radio, la télévision, les réseaux sociaux sont arrivés donnant à chaque fois l’impression d’une nouvelle conquête des possibilités d’expression, en même temps que le regret de voir la lecture menacée et avec elle la capacité critique de l’esprit humain. 


 

En fait tous les médias ont su tricher avec la vérité. Ils l’ont fait pour soutenir le gouvernement ou pour le critiquer, pour plaire aux puissants intérêts commerciaux, pour tétaniser ou pour anesthésier les masses. La guerre de Sécession a été la première à se voir couverte par les reporters et les photographes de presse au point d’indisposer Sherman et Lincoln. Mais en 1914-18 on a vite censuré les images des cadavres de soldats pour protéger le moral des civils. Plus tard, par exemple dans les guerres contre l’Irak de Saddam Hussein, le gouvernement américain a embarqué les correspondants de presse avec les militaires, les premiers amenés ainsi à n’utiliser que les informations contrôlées par l’armée, le public appréciant surtout que le reporter soit sur place : priorité au direct. 


 

Pour donner de la crédibilité, il faut pourtant miser sur l’ « objectivité » et la « transparence ». Brooke Gladstone nous explique l’objectivité à l’américaine, donner la parole au républicain ET au démocrate s’il s’agit d’un sujet politique, c’est-à-dire exercer une sorte de neutralité plutôt qu’un choix dicté par la vérité ou la ligne politique du média. Quant à la transparence, — citée bien sûr ici sans référence à la “glasnost” de Gorbatchev — l’autrice l’applique elle-même avec les notes et les sources très précises qui accompagnent l’ouvrage, telle une publication académique. 


 

Ce livre a été publié aux Etats-Unis en 2011. Certaines choses se sont passées depuis ! L’éthique du métier, la déontologie des journalistes ont fait de grands pas, en Occident du moins. Depuis 2010 les révélations de WikiLeaks pilotées par Julian Assange ont amené des journaux renommés (New York Times, Le Monde, Der Spiegel, El Pais…) à coopérer pour révéler au grand jour l’information cachée. En même temps, différents médias se sont mis à combattre les Fake News. L’école elle-même s’est intéressée à éveiller l’esprit critique : il y a fort à faire car les nombreux travaux de psychologie cités dans cet ouvrage montrent que l’individu est très influençable et n’en est pas conscient. 


 

A la question de savoir si la forme — le roman graphique — prévaut effectivement sur l’essai classique peut-on donner une réponse ? Le doute s’impose assurément, et la preuve en est que l’autrice a rédigé de longues explications avant chaque temps fort de son livre. Un essai classique prendrait le temps de mieux expliciter l’argumentation et tirer parti de l’utilisation des exemples. Encore faut-il s’accrocher à la lecture dans notre monde en folie. L’autrice fait dire ceci à son témoin Nicholas Carr : « Me plonger dans un livre ou dans un long article était autrefois chose facile… Aujourd’hui, j’ai souvent tendance à me déconcentrer au bout de deux ou trois pages… Autrefois, j’étais capable de plonger dans un océan de mots. Aujourd’hui je glisse à la surface comme un type en jet-ski » (page 132). On peut encore mieux glisser sur les images, non ?


 

• Brooke GLADSTONE et Josh NEUFELD. La machine à influencer. Une histoire des médias.Editions çà et là. 2014, 183 pages. 


 

Tag(s) : #HISTOIRE GENERALE, #ETATS-UNIS, #ESSAIS, #BD
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :