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L’historienne Sabine Melchior-Bonnet cherche dans cet essai richement documenté « quand et comment le temps de la solitude s’est imposé comme une condition nécessaire à l’accomplissement de soi ». Elle montre toute l’ambivalence de la solitude tantôt choisie, tantôt subie, entre attrait et répulsion, différente de  l’isolement. Désirée, la solitude n’est pas sans danger ; imposée, la solitude n’est pas sans charme. L’homme a besoin de l’échange avec autrui, mais aussi de temps pour soi : c’est l’évolution de cette balance que Sabine Melchior-Bonnet traque au long des siècles en suivant les parcours d’écrivains solitaires tantôt heureux, tantôt meurtris par la solitude.

 

Au Moyen-Age où la vie était communautaire tout individu sans attache, solitaire, ne pouvait être « qu’un pestiféré, un fou ou un méchant ». En revanche on respectait les ermites qui avaient choisi de se retirer au désert : leur vie ascétique les libérait d’eux mêmes et les rapprochait de Dieu. Pourtant ils n’évitaient pas l’acédie, quand le doute et les désirs de la chair les taraudaient. Au 17e siècle solitude et ennui allaient de paire : le courtisan n’y échappait ni dans la société masquée de la cour ou il cherchait le divertissement, ni seul dans la chambre : pour Pascal on ne pouvait rien attendre de la solitude sauf à se retirer à la campagne comme Madame de Sévigné. Le siècle des Lumières n’appréciait pas non plus la solitude. Pour Diderot « l’homme insensible à la société mérite le nom de barbare ». Alors que l’on fait salon, se retirer n’est que lâcheté et égoïsme. Néanmoins lorsque Jean-Jacques Rousseau y est contraint il en souffre, certes, mais il aime la solitude car elle stimule sa réflexion. De même pour Montesquieu « la solitude est un moment de vérité et de liberté, parfois d’épanouissement ».

 

C’est le Romantisme qui chérit la solitude : seul dans la nature l’homme s’épanouit et s’épanche dans son journal intime. L’auteur rappelle qu’à toute époque on s’est méfié des vagabonds, des déclassés jugés dangereux tout comme des veuves, sous l’Ancien régime, ou des femmes seules et libres, de ces « célibattantes » du sous-titre, qui font jaser.

 

C’est au cours des 20e et 21e siècles que l’historienne voit un véritable « basculement anthropologique » qui modifie notre rapport à la solitude. Avec l’expansion de l’individualisme prime le droit d’être soi, de s’affirmer différent, la défiance envers autrui : en conséquence nous sommes tous solitaires au milieu des autres mais happés par le monde virtuel qui nous donne l’illusion d’échapper à la solitude. En réalité la vraie solitude est devenue un luxe, un moyen d’évasion hors des sollicitations des portables et des écrans, un contre-modèle social selon cette historienne.

 

Dans cet essai elle pointe le danger de notre monde connecté car il est nécessaire de se garder à soi, de se ménager des temps de réelle solitude pour se retrouver.

 

Sabine Melchior-Bonnet : Histoire de la solitude. De l’ermite à la célibattante. - PUF, 2023, 359 pages.

Chroniqué par Kate

 

 

Tag(s) : #HISTOIRE GENERALE, #LITTERATURE FRANÇAISE, #ANCIEN REGIME, #ROMANTISME, #ESSAIS
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