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Un jour de 1941, l'élégante Isabel Mola a imaginé pouvoir fuir après avoir tenté d'assassiner son mari, Guillermo, un chef de la Phalange, cette organisation fasciste qui soutient le régime de Franco. Tel est le point de départ de la cascade de tragédies que Victor del Arbol a imaginée et publiée sous ces mots mystérieux : La Tristesse du Samouraï. Ce titre s'explique d'abord par la passion d'Andres, le fils du couple Mola, pour le Japon ancien que sa mère lui a fait connaître par les contes. Il s'explique aussi par le destin qu'aura bien plus tard son frère aîné Fernando.

 

La préface nous fait entrer par la fin dans cette histoire très bien construite et compliquée à souhait. Dans la même chambre que son père mourant, une certaine María opérée d'une tumeur maligne repose sur un lit d'hôpital tandis que l'inspecteur Marchán s'essaie à décortiquer les ressorts de cette affaire qui le dépasse. Pour lui María est suspectée de plusieurs assassinats et de complicité dans l'évasion d'un prisonnier. Le lecteur va devoir petit à petit découvrir des abîmes de noirceur. Ce roman très noir en effet repose sur deux temporalités qui s'entrecroisent et dont je ne dirai que quelques éléments à titre indicatif, deux dates qui résument l'évolution de l'histoire de l'Espagne au XXe siècle, un passé tragique que la littérature du début du XXIe siècle exploite encore souvent parce que la mémoire en reste bien vivante.

 

1941 d'abord. Mola furieux, demande à Publio, son secrétaire, de faire exécuter l'épouse par l'un des sbires de sa clique, Gabriel, tandis qu'on accuse du crime le précepteur du plus jeune des fils Mola, le pauvre Marcelo Alcalá qui le paie de sa vie. Après la disparition de leur mère, Andres est consolé par le cadeau d'un katana, et confié à la tuelle de Publio. De son côté, Fernando est expédié avec la division Azul sur le front russe. Le terrible Guillermo Mola s'est ainsi débarrassé de ses fils pour mener à sa guise une carrière au service du dictateur.

 

1981, ensuite. Ce sont les conséquences lointaines du drame initial, sous le signe de la vengeance de Fernando Mola, mais aussi un incroyable enchaînement de faits sortis de l'imagination diabolique de l'auteur. Fernando revenu très marqué de la guerre comme son ami Recasens, cherche à sauver son frère Andrés devenu fou des griffes de Publio désormais homme politique important et conspirateur. Parallèlement, le fils de Marcelo, l'inspecteur de police César Alcalá, vient de subir l'enlèvement de sa fille Marta tandis qu'une fâcheuse affaire avec un indic, l'indigne Ramoneda, l'entraîne sous les verrous pour des années. Ironie de l'histoire, María Bengoechea, l'avocate de l'indic, n'est autre que la fille du meurtrier d'Isabel — ce qu'elle ignore longtemps tout comme le lecteur — , la fille de ce Gabriel qui est aussi l'habile forgeron du katana. Le thriller psychologique transforme les victimes innocentes en bourreaux conscients ou inconscients. L'avocate qui se croit au service du bien, de la morale et de la vérité est de plus cyniquement manœuvrée par son ex-mari Lorenzo. Les Alcalá sont une famille maudite sur trois générations. En retrait, Publio tire les ficelles pour faire place nette.

 

Premier roman de l'auteur traduit en français cette œuvre magistrale a lancé la carrière de l'écrivain. Une lecture éprouvante !

 

Victor del Arbol : La Tristesse du Samouraï. Traduit de l'espagnol par Claude Bleton. Babel Noir, 2015, 473 pages [Editorial Al Revés, La Tristeza del Samurái, Barcelone, 2011].

 

Lire un compte-rendu en espagnol, ici.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE
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