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 LE SUJET  

« … disons que le patron du bar Le Crédit a voyagé m'a remis un cahier que je dois remplir, et il croit dut comme fer que moi, Verre Cassé, je peux pondre un livre parce que, en plaisantant, je lui avais raconté un jour l'histoire d'un écrivain célèbre qui buvait comme une éponge, un écrivain qu'on allait même ramasser dans la rue quand il était ivre…»
    Cet incipit annonce bien la couleur de ce roman, le cinquième publié en France par Alain Mabanckou.

LE RECIT
Comme l'exposé du professeur de criminologie dans "African psycho", le texte est divisé en deux sous-parties : "premiers feuillets" et "derniers feuillets". Après avoir expliqué l'origine du texte, Verre Cassé raconte une séance de "brainstorming" du cabinet présidentiel (pages 13 à 29), qui à elle seule vaut de se procurer ce roman, et l'histoire d'Escargot entêté, le patron du bar, natif du village de Ngolobondo. Suivent l'histoire du pauvre gars qui en est réduit aujourd'hui à porter des couches Pampers, puis celle de L'Imprimeur, qui avait épousé une Vendéenne, Céline – «quand y a un Noir devant elle, il faut qu'elle le croque»– et enfin l'histoire de Robinette avec «ses grosses cuisses potelées de personnage féminin de peinture naïve haïtienne» qui entraîne dans un concours très particulier Casimir dit le Géographe parce qu'il dessine des cartes en pissant derrière Le Crédit a voyagé.

    Après l'histoire de Mouyéké qui a été lâché par son fétiche, les "derniers feuillets" nous en disent plus long sur le passé et le présent du narrateur. Aventuré rue Papa-Bonheur, Alice aux jambes maigres le traite de crétin. Lecteur de Paris Match il vante Joseph le peintre SDF.  Surtout, il y a Angélique rebaptisée Diabolique, car elle projette de faire soigner son grand buveur de mari (cf.extrait). S'il est devenu Verre Cassé l'alcolo – « Mompéro, apporte-moi deux bouteilles de rouge et mon cahier » – c'est qu'il a été viré de son poste d'instituteur sans diplôme. Pourtant il en avait eu des lectures et pas que Lagarde et Michard. Lui le collectionneur des San Antonio, il regrette de ne pas avoir écrit "Le Livre de ma mère", une maman aujourd'hui décédée et qu'il va rejoindre en plongeant dans le fleuve. Moralité : «L'enfance est notre bien le plus précieux, tout le reste c'est de la compilation de gaffes et de conneries.»

L'EXTRAIT

    «… et alors, un jour de grand soleil, ma belle-famille a débarqué à la maison, elle a tenu un petit conseil de guerre ethnique, et j'étais l'objet de leur discussion byzantine, moi Verre Cassé, ils ont parlé de moi en long et en large, ils ont pris un décret me concernant, et ils m'ont condamné par contumace parce que je ne m'étais pas présenté devant leur tribunal, c'était comme si j'avais pressenti le traquenard que ces gens me tendaient, en fait mon instinct avait parlé, j'avais déserté la maison depuis la veille, et c'est ainsi que j'avais échappé de justesse aux griffes de ces intolérants, de ces pourfendeurs des droits de l'homme, de ces trouble-fête, de ces fils du chaos, de ces fils de la haine, or c'était sans compter avec la vigilance et la rancœur de Diabolique qui savait où me trouver, et elle a traîné ce comité d'accueil familial dans la rue, le long de l'avenue de l'Indépendance, même les passants croyaient que c'était la grève des battù, ces pauvres gens du quartier Trois-Cents, parce que, il faut le dire, mes ex-beaux-parents sont vraiment des gueux, des chemineaux, des ploucs avec des vêtements à la fois crasseux et usés, c'est normal c'est des pauvres moujiks de l'arrière-pays, ils ne pensent qu'à cultiver la terre, à épier l'arrivée de la saison des pluies, et, cupides comme ils sont, ces gars sont capables de vendre des âmes mortes au premier demandeur, ils n'ont pas de manières, ils n'ont jamais appris à manger à table, à utiliser une fourchette, une cuillère ou un couteau de table, c'est des gars qui ont passé leur existence de ploucs à traquer les rats palmistes et les écureuils, à pêcher les poissons-chats, et on ne peut même pas discuter culture avec eux parce que, comme dit le chanteur à moustache, ils n'ont vraiment pas l'esprit beaucoup plus grand qu'un dé à coudre, et donc ces hommes des cavernes sont venus me tirer de mes nobles préoccupations au Crédit a voyagé, ils m'ont lu la condamnation par contumace, ils avaient décidé de m'emmener chez un guérisseur, un féticheur, ou plutôt chez un sorcier nommé Zéro Faute pour que celui-ci chasse le diable tenace qui habitait en moi, pour qu'il m'ôte l'habitude de me dorer sous le soleil de Satan, et nous devions aller là-bas, chez cet imbécile qu'on appelait Zéro Faute, moi je n'avais pas peur, je voulais les emmerder, et j'ai dit «laissez-moi tranquille, est-ce que quand je bois mon pot je provoque quelqu'un, pourquoi tout le monde est contre moi, je veux pas aller chez Zéro Faute », et tous ces braves gens de ma belle-famille ont dit en choeur « tu dois venir avec nous, Verre Cassé, tu n'as pas le choix, on t'emmènera là-bas, même dans une brouette s'il le faut», j'ai répondu en hurlant comme une hyène prise dans un piège à loups « non, non et non, plutôt crever que de vous suivre chez Zéro Faute », et comme ils étaient nombreux ils m'ont attrapé, ils m'ont bousculé, ils m'ont menacé, ils m'ont immobilisé, et moi je criais « honte à vous gens de peu de foi, vous ne pouvez rien contre moi, a-t-on jamais vu un verre cassé être réparé », et ils m'ont installé de force dans une brouette ridicule, et tout le quartier riait devant cette scène inédite parce qu'on me traînait comme un sac de ciment, et moi j'insultais Zéro Faute tout au long de mon chemin de croix pendant que ma femme parlait toujours du serpent noir qui l'avait mordue, et je demandais de quel serpent noir il s'agissait, « c'est le serpent de Satan, c'est toi qui l'as fait venir, jamais de ma vie je n'avais été mordue par un serpent noir» criait-elle, et moi je continuais à dire «serpent noir, vraiment noir, et comment tu l'as vu dans la nuit puisqu'il était noir», elle a failli renverser la brouette avant que sa tante ne la tranquillise et lui dise « calme-toi ma nièce, Zéro Faute va s'occuper de lui dans peu de temps, on verra bien tout à l'heure si le diable et le bon Dieu peuvent manger ensemble sans que l'un d'eux n'utilise une cuillère à long manche »
 

L'AUTEUR
    Alain Mabanckou est né à Pointe-Noire, au Congo, le 24 février 1966. Après des études de Droit à Brazzaville, il obtint un DEA à Paris-Dauphine. Après un poste à la Lyonnaise des Eaux, il enseigne aujourd’hui la littérature africaine contemporaine à l’université du Michigan (Ann Arbor) puisque les Universités américaines se dotent de départements de "Francophones studies" et attirent des écrivains tels Edouard Glissant ou Assia Djébar. « La société américaine est composée de telle façon que, dès que vous écrivez en français, vous êtes un écrivain français » dit Alain Mabanckou en cette année 2006 de notre francophonie, une notion qu'il critique, y voyant un ghetto littéraire dans bien des cas.

    Il a commencé par publier des recueils de poésie, dont trois chez L'Harmattan. Il a obtenu le Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 1999 pour «Bleu-blanc-rouge». Puis pour «Verre cassé» il a reçu en 2005 une collection de récompenses : le prix RFO du livre, le prix Ouest-France/Étonnants voyageurs et le prix des Cinq continents de la Francophonie ! (Nina Bouraoui l'avait devancé pour le prix Renaudot avec ses "Mauvaises pensées").

    L'écriture ironique est riche de formules fleuries venues de la langue populaire ou inspirées par la culture occidentale, elle attire automatiquement la sympathie du lecteur pour des personnages sans doute abominables mais toujours en verve. En somme c'est loin de bien des petits romans franchouillards et très loin des bouquins de Christine Angot et d'Annie Ernaux. Bref, on respire.

 

•  Alain Mabanckou : VERRE CASSÉ - Seuil, 2005, 201 pages et Livre de Poche, 2006.
   


   
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    Grégoire Nakobomayo, le narrateur, est un ancien enfant abandonné, moche comme tout et la tête comme un cube, devenu maniaque sexuel, tôlier et carrossier dans le sordide bidonville de Celui-qui-boit-de-l'eau-est-un-idiot, quartier de la rive gauche de la grande ville au bord du fleuve (entendez : Brazzaville) ; il rencontre Germaine, avec "son derrière tracé au compas", une de ces prostituées venues en pirogue du pays d'en face pour faire concurrence aux filles du pays, merde alors ; ils se sont rencontrés au restau "En plein air" pas très loin de la parcelle où il a construit sa maison tout en rêvant de devenir un abominable "serial killer" comme Angoualima, celui qui signe ses crimes avec des cigares cubains dans le sexe de ses victimes et la CIA n'a rien pu y faire; parfois il va faire la conversation avec le mort sur sa tombe, il l'appelle Grand Maître et le prie de croire qu'il est un méchant qui a voulu violer une infirmière à minuit le soir où il l'a avait prise pour une pute « au croisement de la rue Cent-francs-seulement et de la rue Papa-Bonheur» après abusé du gin au bar "Buvez-ceci-est-mon-sang", elle l'avait suivi en le prenant pour un "taximan"; mais le Grand Maître qui voit tout depuis sa tombe n'est pas content de son élève, et disparaît au Ciel, et c'est un autre qui va tuer Germaine avant la saint Sylvestre.

 
• Alain Mabanckou. AFRICAN PSYCHO - Le serpent à Plumes, 2003 et collection Points.
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Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #AFRIQUE
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