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Un homme, une femme, un serpent.

Et Dieu un peu plus loin. Non, ce n'est pas tout à fait l'histoire d'Adam et Ève... D'emblée cet homme dit : « J'ai toujours aimé les serpents, surtout les espèces venimeuses…» En réalité l'espèce venimeuse est ici incarnée par la Femme et si Patrícia Melo s'avère bien peu féministe elle ne prétend pas non plus être une moraliste orthodoxe car sous ce titre quasi-érasmien, "Éloge du mensonge", se cache un roman surprenant et malicieux écrit sur un ton enjoué, où le mensonge est la clé de la réussite. Dans le couple, l'édition et la vie religieuse.

Nous sommes bien sûr au Brésil. Wilmer da Silva édite des romans policiers et c'est José Guber qui les écrit mais après quelques succès fondés sur d'évidents plagiats il est en panne d'inspiration. Le crime parfait ne serait-il pas atteint en utilisant comme arme un serpent venimeux ? C'est pourquoi il a rencontré Fúlvia, une scientifique spécialiste ès serpents. Devenue la maîtresse de José, Fúlvia s'est mis en tête de supprimer Ronald, son mari, au moyen d'un crotale après avoir envisagé toutes les solutions que propose la littérature policière. Un gros mensonge est alors gobé par le mari : un week-end dans une auberge isolée — c'est-à-dire loin de tout sérum. Mais rien ne se passe comme prévu... Il y a de très bons hôpitaux au Brésil et Ronald survit. Il faudra s'y prendre autrement. Le crime passionnel sera maquillé en cambriolage qui aurait mal tourné. Une fois le mari éliminé, José épouse sa Dulcinée cependant, semaine après semaine, il s'aperçoit qu'il souffre de malaises gastriques croissants. Des remords ? Ou une tentative d'empoisonnement ? Le fait est qu'il a rencontré la très blonde Ingrid en changeant d'éditeur... et que Fulvia est du genre combatif !

Le Diable et le Bon Dieu

Passant du polar au livre pratique, José publie désormais sous le pseudonyme de João Aroeira. Après le "Dictionnaire symbiotique de la santé" (!) vient "Aide-toi toi-même" dont la couverture est illustrée de la photographie non de l'auteur mais de son play-boy de frère qui vient de mourir d'une leucémie. Le succès de librairie ne se fait guère attendre et avec lui l'ambition d'écrire un autre best-seller, un titre-choc que Marc Lévy n'a pas encore utilisé : "Entretiens avec le Créateur".

« Les négociations avec Laércio étaient en bonne voie et j'avais déjà commencé à écrire mon livre mystique qui était un savant mélange de candomblé, de catholicisme, d'hindouisme et de spiritisme.»  Mais l'éditeur Laércio voit plus loin encore pour son auteur favori : « Créer une Eglise, il n'y a rien de plus facile. On va chez un notaire, on dit qu'on est évêque et qu'on veut créer une Eglise. On ne te réclame même pas une pièce d'identité. On dit qu'on est évêque et voilà, on l'est tout de suite, même si on est le dernier des analphabètes. En moins de cinq minutes, on ressort de chez le notaire et l'affaire est dans le sac. Et, en plus, on n'a même pas d'impôts à payer, parce que même si les évêques s'en mettent plein les poches, une Eglise n'a pas de but lucratif. Voici donc ma proposition. On lance le livre, tu deviens évêque et on ouvre une Eglise. (…) Et on garde la maison d'édition. Simplement au lieu de signer José Guber, tu signeras Mgr José Guber. Qu'en dis-tu? »

Cette perspective évangélique renvoie à deux autres romans de Patrícia Melo, où l'évêque Marlênio fonde une secte évangélique et épouse l'ex-femme de Maiquel (O Matador et Monde Perdu). Mais les anciennes pratiques religieuses comme le candomblé conservent leur place. Le baba, prêtre du culte fétichiste afro-brésilien entre en contact avec les divinités, il en reçoit des instructions et les transmet aux adeptes. Ingrid s'est emparée de l'idée — qui fait réagir son amant :

« Tuer Fúlvia, trouver un baba pour tuer Fúlvia, tu sais comment ça va se terminer ? lui avais-je demandé quelques heures auparavant, quand elle m'a raconté son plan idiot, on va se mettre dans de sales draps, j'ai dit, j'espère que tu te rends compte de la situation, ce baba dont tu dis qu'il est sûr, cet ancien marchand de légumes qui était un ami de ta mère et qui t'a proposé de t'aider, ce type va finir par faire une connerie, il va tenter de faire du recel de téléviseurs volés, ou il va planter un couteau dans le ventre d'un homosexuel ou que sais-je encore, il va se faire arrêter, il sera passé à tabac au commissariat et là tu peux être sûre qu'il finira par te dénoncer.»

Roman après roman, Patrícia Melo dépeint une société brésilienne où la violence règne aussi bien dans les classes populaires (dans "Enfer") que chez les bourgeois de São Paulo ou de Rio. Autre thème récurrent, celui des croyances et pratiques religieuses, que l'on retrouvera dans "Monde Perdu". Enfin, son style efficace, moins brut que dans "O Matador", contient ici davantage d'ironie. C'est, sans mentir, un livre jubilatoire.

 

• Patrícia MELO : Éloge du mensonge
Traduit du portugais par Marie Abdali. Actes Sud, coll. Babel, 2001, 236 pages.

 

 

Tag(s) : #BRESIL, #LITTERATURE BRESIL
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