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Chacun sait que le 4 juillet 1776, les leaders blancs des colonies anglaises proclamèrent leur indépendance, qu'une guerre s'ensuivit, que La France y participa, que George Washington fut victorieux à la tête des "Insurgents" et que le traité de Paris reconnut la défaite de l'Angleterre en 1783.
 
Et ensuite ? Pour clore leur Révolution, les Américains se donnèrent une Constitution qui entra en application en janvier 1789. Alors que la France vivait en Révolution à son tour, comment les anciennes colonies pouvaient-elles survivre et devenir une jeune nation alors que leur ancienne métropole et leur ancienne alliée s'opposaient durablement dès mars 1793 ? Comment aussi allaient-elles s'imposer sur le continent américain peuplé par les nations indiennes, et se comporter face à la Révolution noire de Saint-Domingue ? Est-ce que les grands principes issus des Lumières, inscrits dans la Déclaration de 1776 et dans la Constitution de 1787 guideraient le nouvel État ? Autant de réponses qui constituent comme une seconde naissance de l'État  américain.
 
 
Les relations entre les États-Unis naissants et les puissances européennes avec lesquelles, finalement, ils ne signeront pas d'alliance.
 
Marie-Jeanne Rossignol montre d'abord la formation progressive de deux partis déterminants pour fixer la politique extérieure de l'Union. Autour d'Alexander Hamilton, les Fédéralistes veulent s'entendre au mieux avec l'ancienne métropole pour bâtir la prospérité américaine sur des relations commerciales étroites avec une Angleterre en voie d'industrialisation. Autour de Thomas Jefferson, les Républicains, aux conceptions plus égalitaires, voudraient conserver de bonnes relations avec Paris, mais ils en viennent à s'inquiéter des crimes de la Terreur puis de la dictature militaire de Bonaparte. Après le départ de George Washington, le président John Adams suit la ligne pro-anglaise et quand, à Paris, Talleyrand, revenu de son exil américain pour devenir ministre des affaires étrangères du Directoire, se moque des trois envoyés de Philadelphie, c'est la crise appelée XYZ (1798) et on frôle la guerre entre la France et les États-Unis.
 
 
• Avec la présidence de Jefferson les perspectives changent puisque contre toute attente, les Français cèdent en 1803 l'immense Louisiane après l'avoir récupérée sur l'Espagne. Rapidement, les relations se dégradent avec Londres dont la marine attaque en 1805 les navires neutres américains pour récupérer des marins anglais jugés déserteurs. La tension s'exprime alors dans la presse et l'opinion publique réclame la guerre contre l'Angleterre. En 1807-1808, Jefferson déçoit son opinion en temporisant avec un embargo désastreux. James Madison qui lui succède obtient du Sénat qu'il déclare la guerre contre l'Angleterre en 1812. Cette guerre enthousiasme le public mais n'est pas très glorieuse :  les Anglais débarquent et incendient la nouvelle capitale fédérale, Washington D.C., en août 1814. L'opinion américaine préféra donc retenir que l'armée d'Andrew Jackson entra victorieuse à la Nouvelle-Orléans le 8 janvier 1815.
 
 
Les perspectives américaines d'expansion dans le Nouveau Monde.
 
En 1783, l'Union n'a pas hérité de territoires vides : les nations indiennes, tant au Nord-Ouest qu'au Sud-Ouest, n'entendent pas céder les terres aux nouveaux venus. Le pouvoir soutient les colons dans leur marche vers le Mississippi et il organise des expéditions de reconnaissance au-delà. Celle de Michaux est suivie, après l'annexion de la Louisiane, par une série d'expéditions auxquelles les Espagnols tentent de s'opposer, car ils sentent les menaces peser sur le Texas, la Californie et la Floride. Jefferson envoie ainsi Lewis et Clarke jusqu'à la Columbia et au Pacifique (1803-1806). Colon puissant établi à Natchez, William Dunbar mène une expédition médiatisée par le président qui fait publier son récit en 1806. Il y évoque avec lyrisme l'implantation du colon sur ces terres vierges.
 
« En un an ou deux, il parvient à être indépendant, il achète des chevaux, des vaches et d'autres animaux domestiques, peut-être un esclave aussi qui partage avec lui les peines et les produits de ses champs et de la forêt adjacente. Quel contraste heureux, quand nous comparons le sort de ce nouveau colon aux États-Unis avec la misère du Paysan européen, à demi mort de faim, opprimé et dégradé !!»       
 
 Voilà qui anticipe sur le destin de Jacques Lajonie, un des héros de la thèse d'Eric Saugera, "Renaître en Amérique", soutenue en 2008, où l'on voit les officiers napoléoniens exilés s'établir en Alabama dans la Colonie de la vigne et de l'olivier.
 
En poursuivant la lecture de l'ouvrage de Mme Rossignol, on note même des propos du président Jefferson évoquant le jour où Cuba entrerait dans l'Union, et la possibilité d'envoyer une armée jusqu'à Mexico en un mois. Cette menace qui sera exécutée quarante ans plus tard fait frémir les Espagnols. L'étonnante confiance en l'expansion continentale à venir est à la base de la fameuse "destinée manifeste" comme on dit encore aujourd'hui. 
 
 
Pourtant, vers le Sud, il y a un coup d'arrêt. Le soulèvement des esclaves noirs de Saint-Domingue conduits par Boukman en 1791 est-il une nouvelle Révolution inspirée par les idées des Lumières et les principes de 1776 et de 1789 —et alors il faut la soutenir— ou bien est-elle simplement une vulgaire révolte d'esclaves, comme il y en a d'autres au Brésil ou en Virginie, —et alors il faut laisser les Français la combattre et quand la République noire d'Haïti est proclamée en 1804 : l'ignorer ? L'Union, où les esclaves Noirs forment 20 % de la population, préfère contredire ses valeurs que courir le risque de la révolte et de la libération des esclaves. Aussi dès 1806, les échanges avec Haïti sont-ils interdits par la loi votée par le Congrès américain.
 
 
C'est seulement après la Civil War , après la Guerre de Sécession, une fois les Noirs américains libérés de l'esclavage, que Washington pensera vraiment à reprendre la marche de son influence vers le Sud. Entre temps, la déclaration de Monroe, contemporaine de l'action de Bolivar contre l'empire espagnol, aura synthétisé les différents éléments que l'on vient d'évoquer. L'isolationnisme américain, base durable d'un nationalisme différent de ceux d'Europe, a pour contre-partie l'affirmation de la domination exclusive sur le continent : l'Amérique aux Américains, certes, mais une nation "wasp" — blancs, anglos, et protestants— ce qui ne convient guère davantage aux francophones et hispanophones de Louisiane et de Floride, qu'aux Indiens, dont les chefs seront écrasés (tel Tecumseh, en 1812, dans l'Indiana actuel), et les terres grignotées.
 
 
L'impérialisme américain a donc une histoire ancienne... Ce livre remarquable nous la rappelle et il est d'une lecture beaucoup moins austère qu'on pourrait le craindre  !
 
 
• Marie-Jeanne ROSSIGNOL - Le ferment nationaliste. Aux origines de la politique extérieure des États-Unis : 1789-1812. Avec bibliographie, notes, index et cartes. Belin, 1994, 400 pages

 

 

 

 

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1789-1900, #ETATS-UNIS
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