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Pour le franciscain qu'est Gwenolé Jeusset, "Dieu est courtoisie". L'histoire du Poverello qui a rencontré le neveu de Saladin en est l'application. L'auteur s'est largement investi dans le dialogue entre les religions – spécialement entre l'Eglise catholique et l'Islam. Était-ce plus facile au XIIIe siècle qu'aujourd'hui ?  Ce n'est pas certain.

Le décor historique. La toile de fond c'est la 5è croisade. Après le fiasco de 1204, (cf. le roman d'Umberto Eco, "Baudolino"), la papauté a besoin de reprendre la main et les preux chevaliers d'aller guerroyer non plus contre Saladin – le sultan ayyubide est mort à Damas en 1193 – mais contre ses successeurs et voici les Croisés devant Damiette en 1218, sans l'empereur Frédéric II qui a été excommunié et qui entend faire les choses à sa façon le moment venu (cf. sa biographie par Kantorowicz). L'armée musulmane est dirigée par le sultan d’Égypte, Al-Malik al-Kamil, après une défaite momentanée, il sera vainqueur des Croisés mal commandés ; par la suite il signera avec Frédéric II une trêve de dix années.

Né en 1186, François d'Assise est déjà bien connu pour son engagement religieux quand il arrive à Damiette en juillet 1219. En août il franchit les lignes accompagné de quelques frères. On pense qu'il recherchait ainsi le martyre. Il reste probablement deux semaines au camp du sultan al-Kamil. Il a des entretiens avec lui sur leur foi respective, chrétienne et musulmane. Et peut-être sur d'autres sujets que les chroniqueurs du XIIIe siècle n'ont pas précisés. Après avoir refusé –non par offense mais par vœu de pauvreté– les cadeaux du sultan, François et ses accompagnateurs rentrent dans le camp des croisés. Quand ceux-ci prennent Damiette, François est déjà reparti, via la Syrie, d'où il regagne l'Italie durant l'été 1220. Et de cette aventure, Franois n'a laissé aucun témoignage direct.
Quelle a été la portée de cette rencontre ? D'abord, écartons la trêve conclue à Jaffa en 1229 par Frédéric II et le Sultan car l'empereur élevé à Palerme avait déjà ses vues particulières sur l'Orient. Gwenolé Jeusset a plutôt recherché la logique de cette rencontre entre le Poverello et le Sultan à la lumière de la règle franciscaine en cours d'élaboration. Le chapitre 16 du projet de règle – écarté de la version définitive – prend position en faveur du dialogue pacifique avec l'Islam et l'envoi des missionnaires respectueux de la foi et des usages de l'Autre. Compatriote et disciple de François, Claire (fondatrice des clarisses) a une attitude comparable sur ce sujet.

Dire l'originalité de cette attitude au XIIIe siècle paraît superflu. À la même époque, des missionnaires chrétiens étaient mis à mort au Maroc à cause de propos offensifs et offensants à l'égard de la religion musulmane. D'autre part, après la disparition de François, le 3 octobre 1226, et malgré une canonisation rapide, l'interprétation de la rencontre avec le Sultan serait déformée par les Franciscains et l'Eglise en général, comme nous le montre l'auteur. Cette rencontre a donné lieu à de nombreuses interprétations au fil des siècles (cf. John Tolan "Le Saint et le Sultan"). Au XXe siècle, après le concile de Vatican II, le dialogue interreligieux a connu un vif renouveau : le 800è anniversaire de la naissance de François a été marqué à Assise par un rassemblement de nombreux chefs religieux à l'appel de Jean-Paul II. Malheureusement, quinze ans plus tard, les mots "croisade" et "croisés" allaient connaître un nouvel usage...
 
• Gwenolé JEUSSET : Saint François et le Sultan. Albin Michel, coll. "Spiritualités vivantes", 2006, 296 pages.
 
 
Tag(s) : #HISTOIRE MOYEN AGE
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