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Gengis Khan, Tamerlan : autant d’images négatives de pillages et de meurtres des habitants de villes prises d’assaut … Pour Marie Favereau, c’est aller un peu vite que de réduire l’histoire des nomades mongols à cette façon de voir. Dans son livre consacré à La Horde, elle annonce un tout autre programme puisque son sous-titre est : « comment les Mongols ont changé le monde » !
Il faut remonter à la décision de Gengis Khan, anticipant sur sa succession, d’envoyer son fils aîné Jochi à la conquête des steppes situées au plus loin à l’ouest. Avec ses guerriers, Jochi conquiert ainsi la steppe des Qipchaqs. Ses descendants, les Jochides, en collaborant ou non avec d’autres clans mongols, étendent leur empire vers les oasis proches de la mer d’Aral, jusqu’aux portes du Caucase, jusqu’au bas Danube à l’ouest, et incluent les principautés russes au nord-ouest — seule Novgorod y échappant jusqu’en 1315. Ainsi l’ulus [la communauté] de Jochi est-elle à même de créer un vaste espace commercial pacifié que l’on a autrefois qualifié de pax mongolica. Ce « grand échange mongol » culmine dans les années 1300-1330, incluant alors la Chine de la dynastie Yuan.
L’historienne étudie minutieusement la place que jouent les échanges dans le système nomade mongol. Le khan n’a pas de capitale fixe, il contrôle à distance, ne faisant la guerre avec pillages, massacres et prisonniers qu’en cas de nécessité, autrement dit pour obliger ses “vassaux” à payer leurs impôts. La valeur naît de la circulation des biens plutôt que de leur production : l’axe est-ouest concerne la soie, l’axe nord-sud concerne les fourrures. Le commerce d’esclaves prospère depuis la Crimée et la basse Volga, à destination notamment des Mamelouks du Caire, avec qui sont conclues des alliances. Les khans de la Horde jochide ne s’intéressent pas à la propriété foncière qui reste l’affaire des autochtones, les khniazia slaves par exemple. Les commerçants étrangers, notamment génois et vénitiens, accèdent à des places de commerce : les Génois à Caffa en Crimée, les Vénitiens à Saray sur la Volga inférieure. Plus tard les échanges avec la Baltique prennent plus d’importance. Les prélèvements de l’administration des khans sur les échanges leur permettent de faire des cadeaux qui fidélisent les begs amis qui mettent leurs troupes au service de la Horde, ou des guerriers isolées, les bo’ols. On rejoint ici la théorie économique du ruissellement ! Les différents groupes religieux bénéficient de la tolérance, leurs chefs sont exemptés d’impôt ; ainsi musulmans, chrétiens catholiques et orthodoxes, bouddhistes et chamans coexistent alors même que la plupart des khans sont convertis à l’islam.
La Peste noire porte un coup dur à l’empire mongol et aux échanges. Apparue dans la région d’Issyk-Koul en 1338 elle atteint Saraj et la basse Volga en 1346. Les bateaux génois chargés de céréales l’importent de Caffa en 1347 et elle se propage aussitôt en Méditerranée. La Peste atteint Venise en 1348, mais Novgorod seulement en 1352. A la même époque la Horde est entrée dans une période de division de ses clans à l’ouest tandis que les Mongols se retirent du nord de la Chine suite à la révolte des Turbans rouges qui ouvre la période Ming.
Le coeur du pouvoir de la Horde reste principalement lié à Saray puis à la Nouvelle Saray en amont. Là se retrouvent les artisans, souvent chinois, les marchands de passage comme ont pu le constater au XIIIe siècle les religieux venus d’Occident, Guillaume de Rubrouk et Jean de Plan Carpin, ou bien encore le grand voyageur que fut Ibn Battuta. Les Mongols s’y rassemblaient une ou deux fois l’an pour prendre leurs décisions politiques. Les clans mongols remontent à la belle saison le long des cours de l’Oural, de la Volga, du Don, du Dniepr. Puis ils redescendent pour l’hiver avec leurs troupeaux.
Chaque nouveau khan était choisi ou confirmé par l’assemblée des chefs nomades, la quriltai. Mais au XIVe siècle, la gouvernance est devenue plus autoritaire, avec des assassinats politiques ou des coups de force pour remplacer le khan. Autour de 1400, la rivalité entre Toqtamish et Tamerlan aboutit à la ruine du premier et à la victoire du second qui règne plus au sud sur la Perse notamment. Dès lors, la Horde, se désintègre peu à peu, laisse place à l’ascension de la Pologne-Lituanie, du grand prince Ivan de Moscou qui refuse en 1462 de payer tribut au khan et prend le titre de tsar, à l’essor des Ottomans, et plus à l’est aux khans ouzbeks et kazakhs qui n’appartiennent plus à la lignée d’or de Gengis Kahn et qui seront soumis par l’impérialisme russe du XIXe siècle.
La lecture est facilitée par un glossaire en début de livre et des cartes claires. Néanmoins il est assez complexe de se repérer dans le récit des luttes politiques des Jochides qui constitue une large partie de cet ouvrage.
• Marie FAVEREAU : La Horde. Comment les Mongols ont changé le monde. - Perrin, 2023, 425 pages.