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Ça commence mal. Ensuite, ça va mal. Enfin ça finit vraiment très-très mal. Voilà résumé le roman du maître du réalisme arabe, paru au Caire en 1949. Évidemment, quelques détails ne feraient pas … de mal. Le destin tragique d'une famille cairote, récemment venue de Damiette, tel est le sujet du roman qui se passe dans les années 1930, sur plusieurs années consécutives. La mort subite du père jette dans la misère noire et les problèmes à répétition une famille désormais composée d'une mère courage sur laquelle l'auteur est discret, et des quatre enfants. Nafissa ne se trouve pas belle, se passionne pour la couture et voudrait bien connaître l'amour. Hassan, le fils aîné, a préféré la musique et la drogue à un travail sérieux, il quitte l'appartement familial de l'impasse Nasrallah. Modeste, Hussein passe son bac et devient petit fonctionnaire en province. Jamais content, Hassanein se plaint de la pauvreté dans laquelle il vit, et exige que tous se sacrifient pour ses études : amoureux de Bahia sa jeune voisine, il devient un officier nationaliste et paraît promis à une carrière qui récompenserait les efforts de toute la famille.


Les fiançailles de Bahia et Hassanein sont repoussées à la fin de ses études secondaires, puis à la fin de ses études d'officier. Les années passant, Hassanein s'interroge sur l'intérêt qu'il porte à Bahia : est-elle assez bien pour lui ? Dans son intrépide projet d'ascension sociale, Hassanein ne peut ignorer les points faibles de sa propre famille : ils sont économiques et culturels. Le déterminisme social va-t-il l'emporter, comme chez un Bourdieu livré à la caricature ? Non, car il s'y ajoute le cruel destin contre lequel nulle prière ne vaut. Alors que la famille vient de déménager pour un quartier bourgeois qui convient enfin au jeune officier, que la rupture avec le passé de l'impasse Nasrallah pourrait s'estomper, la vie de Hassan, de Nafissa et de Hassanein tourne au tragique. La 4ème de couverture dit que la malédiction s'acharne sur cette famille. Il faut tenir compte du code d'honneur familial : la tache ineffaçable de la prostitution de Nafissa imposait une décision radicale au jeune officier, soutien de famille, qui a gâché sa vie et celle des autres. Le romancier égyptien avait platement mais judicieusement intitulé son roman "Début et fin" (Bidâya wa-nihâya) ; le titre de la version française est plus poétique, mais ambigu.

 

À côté de l'intrigue familiale, c'est aussi, comme souvent chez Mahfouz, la chronique d'un quartier populaire, celui de l'impasse Nasrallah, avec ses petits boutiquiers et des pratiques sociales traditionnelles. Le fils de l'épicier, qui voudrait bien épouser Nafissa, doit accepter le mariage arrangé par les parents. Plus loin, dans le Caire des grandes avenues et des quartiers bourgeois vit une autre Égypte à laquelle Hassanein aspire : villas cossues, parents fortunés, jolies filles à marier, cercles mondains, automobiles et domestiques. Plus loin encore, les campagnes de la vallée du Nil ou du delta, avec son peuple de fellahs qui triment pour survivre, racine de la famille Kamel Ali : juste un coup d'œil par les fenêtres du train quand Hussein rejoint son poste, à la fin de septembre 1936. Mahfouz nous donne à lire un monde de fiction mais nettement ancrée dans la réalité sociale.


• Naguib MAHFOUZ : Vienne la nuit
Traduit de l'arabe par Nada Yafi. Denoël 1996 (Folio n°3139, 513 pages)


 

 

 

Tag(s) : #MONDE ARABE
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