Abderahmane Sissako a réalisé avec "Bamako" (2006 - 115 min) le film-procès de la mondialisation. Pris dans l'étau de la dette et de l'ajustement structurel, le continent africain lutte pour sa survie.
Couple en crise
Face à ce drame, des représentants de la société civile africaine intentent un procès aux institutions financières internationales. Le procès se déroule à Bamako, dans la cour d'une maison, au milieu des habitants qui vaquent à leurs occupations, attentifs ou indifférents aux débats. Parmi eux, Chaka et Melé. Elle est chanteuse dans un bar (cf. chanson interprétée au début et à la fin du film), il est sans travail, leur couple se désagrège.
Réquisitoire
Le procès de la Banque Mondiale et du FMI est fondé sur les arguments habituels de leurs adversaires, avec un appui statistique récent. L'argumentation évolue en accusation de la mondialisation. Le point faible de l'accusation est que tout va mal à cause des autres et du reste du monde comme s'il y avait un complot ourdi par le monde entier contre l'Afrique noire. En historien, je ne peux pas être d'accord avec cette thèse du complot et je constate que le procès de la mondialisation prend trop souvent cette direction. En géographe, —un économiste dirait sans doute la même chose— je dois insister sur cette question de la dette : l'accusation montre à juste titre son poids croissant, mais rien n'est dit de sa cause. Pour l'Afrique sub-saharienne, est-il vrai que tout était mieux avant : non seulement avant les années 1980-2000, mais avant les cinq ou dix derniers siècles ?
Vie quotidienne
Mais l'intérêt du film n'est pas dans ce débat pour classe de Première ou Terminale. Il réside dans l'imbrication entre le procès et la vie quotidienne. C'est une sorte de tour de force. Le quotidien, par sa force d'évidence, bouscule les beaux discours. On voit une société où les femmes ont l'initiative et travaillent beaucoup alors que du côté des hommes, si les uns misent sur l'émigration, les autres attendent sur leur banc que l'État leur donne un emploi. Souvent, la vie quotidienne est plus forte que le procès ; elle le perturbe ou l'interrompt : le bain de la petite fille, le laçage de la robe de la maîtresse des lieux, le remplissage des seaux pour la teinture, l'étendage des tissus, la traversée de la concession par un mariage, la maladie d'un des habitants, le vol du revolver du gendarme. Le procès, lui, ne change finalement rien : le voleur du revolver s'en sert pour se suicider. Évidence : l'Afrique se suicide en continuant sur cette lancée. Il faut l'en empêcher !
Bamako
Film d' Abderahmane Sissako
2006 - 115 min