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La Rome de 1946 n'est pas encore redevenue une cité touristique : c'est la capitale d'un pays vaincu et libéré-occupé par les troupes américaines qui apportent chewing-gum, chocolat et cigarettes. Paola Cortellesi l'a filmée en noir et blanc pour s'accorder à ce temps de pénuries d'après-guerre et retrouver l'atmosphère des films néo-réalistes de ces années dont Le Voleur de Bicyclettes reste la grande référence cinématographique. Les femmes des quartiers populaires se débrouillent pour survivre telle Marisa la marchande de légumes. Il en va ainsi de son amie Delia, l'héroïne du film interprétée par la réalisatrice,  qui trime pour son mari Ivano, brute tyrannique mal dégrossie, sa grande fille Marcella qui rêve d'un beau fiancé, et ses deux petits démons qui répètent les injures sorties de la bouche de leur père, sans oublier un beau-père qui passe son temps au lit et à la sieste. Les fenestrons de leur humble logement s'ouvrent au ras du sol de la cour de la cité. Mais assez de misérabilisme ! Il faut dire que le film associe remarquablement le drame et l'ironie, jusqu'à provoquer de fréquentes réactions de franche hilarité à la faveur de scènes privées comme publiques.

 

Tandis que Delia subit jour après jour et dès le réveil les coups d'Ivano, les saisons passent et Marcella flirte encore et toujours avec Giulio, fils de petits-commerçants enrichis pendant la guerre et qui tiennent un bar et une gelateria. Marcella sortirait sûrement de la misère en épousant ce jeune homme s'imagine Ivano. Le plus cérémonieusement possible, Ivano et Delia reçoivent à déjeuner le couple richement endimanché. Le repas de fiançailles n'est qu'une suite de gags humiliants. Les jours suivants Delia observe le comportement de son futur gendre et se demande si Giulio sera un bon mari pour sa fille ou si son histoire de couple raté va recommencer. Le refus de voir Marcella subir un mari dominateur l'amènera à une solution radicale...

 

Vers le même temps arrive pour Delia une lettre bien mystérieuse dont la signification ne se découvre qu'à la fin du film. Marcella lui reproche sa passivité devant la violence maritale, elle ne comprend pas comme sa mère supporte d'être une femme battue ; elle cherche à lui mettre dans la tête l'idée de quitter son mari. Marisa ou ses voisines ne lui disent pas autre chose. — Pour aller où ? réplique Delia. Ainsi est glissée dans l'esprit du spectateur la possibilité d'une fuite loin du foyer. Effectivement, dans ses activités quotidiennes Delia croise des soldats en jeep à une sorte de check point bon enfant et l'un d'eux, un soldat afro-américain cherche à échanger quelques mots avec elle. En voyant des ecchymoses sur son corps il lui propose de l'aider. Delia rencontre aussi Nino, un mécano affairé dans un modeste garage, et l'on comprend qu'autrefois ils ont flirté ensemble et qu'il regrette le couple qu'ils n'ont pas formé. Le spectateur est tenté de croire que Delia s'enfuirait bien avec lui. Elle semble s'y préparer. On sait qu'elle a mis de l'argent de côté et acheté un beau chemisier.

 

La fin du film n'est pas ce qu'on supposait. Alors que la famille part assister à la messe du dimanche le beau-père meurt subitement. Delia estime qu'il l'a fait exprès pour contrarier ses plans. Mais, dit-elle, « il reste encore demain ! » En effet le 2 juin 1946 — qui va devenir le jour de la fête nationale en Italie — et les Italiennes vont massivement voter pour la République. Désormais les droits des femmes pourront s'imposer et retrouver leur fierté. Et Ivano ne pourra que s'incliner...

Ce film épatant vient de connaître un immense succès en Italie, mais a été méprisé par une partie de la presse française.

 

Il reste encore demain. [C'è ancora domani]. Film de Paola Cortellesi. 2023, 1h 58.

 

Tag(s) : #AU CINEMA, #ITALIE
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