« Il n'y a qu'une vérité ! » Telle est la devise de Gareth Jones, conseiller diplomatique du Premier Ministre Lloyd George et journaliste à la carrière fulgurante mais tragiquement brève. Car cette devise lui a coûté cher : il sera assassiné par des agents du NKVD lors de sa dernière mission au nord de la Chine en 1935 pour documenter un autre péril : l'expansionnisme japonais.
Le journaliste gallois né en 1905 s'est d'abord rendu célèbre par une interview d'Hitler dans son avion, au terme de laquelle il alerte l'opinion britannique sur le danger que représentera le nazisme alors que le IIIe Reich ne fait que commencer. Ne conviendrait-il pas d'amener Londres à se rapprocher de Moscou pour endiguer l'expansionnisme qui est au programme de Hitler ? En même temps, la politique industrielle de Staline intrigue Gareth Jones alors que des ingénieurs britanniques participent à l'édification d'usines en URSS : comment Staline finance-t-il cette croissance planifiée ? Cet intérêt du journaliste — qui a appris le russe à Cambridge — pour le pays de Staline s'explique aussi parce qu'il y a un lien familial. Sa mère a autrefois vécu en Ukraine comme préceptrice des petits-enfants de l'industriel gallois John Hughes fondateur de la cité industrielle de Donetsk — nommée Yuzovka jusqu'en 1924. C'est aussi dans cette ville qu'il veut se rendre lors d'un nouveau voyage en URSS en 1933.
Arrivant à Moscou alors que Paul Kleb, un reporter étranger qui enquêtait sur la rumeur de famine en Ukraine vient d'être abattu par la police politique, Gareth Jones rencontre des journalistes étrangers, William Duranty et Ada Brooks, qui ne peuvent quitter Moscou pour enquêter dans les provinces de l'empire. Avec sa lettre de recommandation de Lloyd George, il ne parvient pas à interviewer Staline, mais obtient de se rendre en Ukraine où on veut lui montrer l'équipement de l'Armée rouge contre une éventuelle invasion allemande. Dans le train il fausse compagnie à son mentor et se perd dans la campagne ukrainienne et y constate que la population meurt faim. Le grenier à blé est acculé à la famine contrairement à ce que prétend William Duranty, correspondant du New York Times à Moscou, qui a reçu le prix Pulitzer pour ses articles mensongers sur l'URSS où il vit fastueusement, type même du journaliste corrompu par le régime stalinien.
Momentanément arrêté et détenu par les autorités soviétiques, Gareth Jones est libéré contre la promesse de déclarer dans la presse de son pays l'absence de famine en Ukraine et l'admiration du peuple envers Staline, alors que des ingénieurs de la société britannique Vickers suspectés d'espionnage sont retenus otages du Kremlin. À son retour au Royaume-Uni, Gareth Jones rencontre le romancier Eric Blair, alias George Orwell — futur auteur d' Animal Farm — qui lui conseille de dire la vérité sur ce qu'il a vu et qu'on appellera ensuite l'Holodomor. Si cette rencontre relève plus du symbole que de l'expérience vécue, elle a le mérite de réunir deux personnages qui, chacun à leur manière, entendent proclamer la vérité sur le régime soviétique face aux partisans d'une vérité « alternative » c'est-à-dire d'une propagande mensongère comme celle qui profite à William Duranty. Ce sera « Famine Rules Russia » article paru dans les journaux de W.R. Hearst à la fin du mois de mars 1933 où on peut lire que « le plan quinquennal a détruit le grenier de la Russie ».
Le biopic habilement romancé de la réalisatrice polonaise séduit par le choix des acteurs, par une photographie sombre à souhait, et par un scénario qui limite la multiplication d'intrigues secondaires.
• L'Ombre de Staline, d'Agnieszka Holland. Film polono-britannico-ukrainien, 2020, 140 min.