Le Festival des Trois Continents, édition 2006, a montré l'intégrale de Satyajit Ray… Je n'ai pas donné la priorité à ces films. Je connaissais déjà l'étonnant "Salon de musique". Je ne parlerai donc que de ce film (1984 - 140 min) tiré d'un roman publié en 1915, œuvre de Rabindranath Tagore, prix Nobel de Littérature d'avant l'Indépendance. La version originale du film est en bengali. En bref, il s'agit d'un triangle amoureux pimenté des préoccupations politiques de l'Empire des Indes il y a cent ans.
En 1905, afin d'appliquer à la politique coloniale l'adage " diviser pour régner ", le Gouverneur Général des Indes, Lord Curzon, jouant sur les antagonismes religieux, scinde le Bengale en deux. Une partie de l'intelligentsia bourgeoise s'oppose à cette politique et préconise un rejet des produits importés, principalement anglais —l'antimondialisation déjà!—. L'un de ses membres, le bellâtre Sandip Mukherji, est devenu un important " leader" du Swadeshi. Il arrive à Suksayar, la propriété de son ami Nikhil Choudhury, où il s'installe — dans le style du coucou.
Érudit, homme moderne et libéral, idéaliste aussi, Nikhil (Victor Banerjee) profite de l'occasion pour aider son épouse, Bimala, à sortir de sa timide réserve et à s'insérer dans la bonne société. D'abord réticente, Bimala (Swatilekha Chatterjee) accepte de rencontrer Sandip (photo), qui exerce sur elle une véritable fascination. Tout en étant hostile aux décisions du colonisateur, Nikhil n'adhère pas à l'attitude de Sandip (Soumitra Chatterjee). Pour lui, le boycott ne peut que nuire aux pauvres parce que les marchandises étrangères sont de meilleure qualité que les produits indiens (s'ils existent) et parce que le commerce est source d'emplois pour les bengalis musulmans. Pour Nikhil, la situation devient difficile; l'agitation se développe jusque sur ses terres et il sent que sa femme s'écarte de lui. Il ne peut cependant agir au risque de la voir se retourner contre lui. Pourtant, Bimala, qui est prête à donner or et bijoux à la cause nationaliste-protectionniste, finit par se rendre compte que Sandip est un homme avide de pouvoir, un sinistre agitateur, et non un véritable patriote.
Quand Bimala revient sur terre c'est-à-dire vers son mari, le climat extérieur s'est, en revanche, détérioré de façon irréversible. Une nuit l'émeute éclate. Les musulmans pillent un temple hindouiste. Sandip, débordé, s'échappe. Nikhil part à cheval pour tenter de calmer les paysans fanatiques ; il y laisse la vie. Le dernier plan montre Bimala habillée en veuve. C'est un film très distingué, presque british, où l'on ne crie pas comme dans les films coréens et chinois, un film indien mais loin des pitreries musicales de Bollywood. Revers de la médaille : le dialogue est envahissant et l'on ne sort quasiment pas du palais. Enfin, si on ne craint pas trop l'anachronisme, la question du développement de l'Inde est posée : protectionnisme ou ouverture : la maison ou le monde.
• La maison et le monde. Film de Satyajit RAY. 1984. 2h 20.