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À quelle « autre vision du XXe siècle » cet ouvrage nous prépare-t-il à l'heure de la Global History ? Certes, tous ceux qui réduisent l'histoire contemporaine à la seule dimension de l'Europe trouveront le moyen de décentrer leur jugement avec l'imposant ouvrage de Pierre Grosser. « L'Histoire du monde se fait en Asie » proclame le titre, puisqu'en effet plus de la moitié de l'humanité y vit. Le dessin de la couverture paraît plus explicite encore avec cette loupe qui se focalise sur la Chine, la Corée, le Japon faisant croire à une histoire circonscrite à ces trois pays.

En réalité nous avons bien affaire à une histoire des relations internationales qui privilégie l'étude de l'Asie à travers tout le siècle dernier, en s'intéressant principalement à l'Asie orientale et en second lieu à l'Asie du Sud : du monde indien à la péninsule indochinoise. Cette Asie-là se retrouve au centre des intentions et des agissements d'acteurs extérieurs — Europe occidentale, puis Russie et États-Unis principalement — en une sorte de nouveau “Grand Jeu” comme l'on disait jadis des affrontements du XIXe siècle dans les marges des Empires russe, ottoman et indo-britannique.

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L'étude démarre en 1900 et s'achève autour de 1989 quand le monde soviétique s'écroule sous ses réformes, et qu'en Chine le pouvoir a choisi la répression, la croissance capitaliste et le revival nationaliste. L'ouvrage est organisé en douze périodes chronologiques pour mieux souligner quelques idées majeures et faits saillants. On en rappellera ici seulement quelques uns. À l'aube du XXe siècle l'Asie orientale est un enjeu entre puissances coloniales. En 1905, les Japonais écrasent les Russes sur terre, sur mer et s'implantent en Corée. Les vaincus imaginent le “péril jaune” en même temps que le vieil empire chinois disparaît. Les États-Unis commencent à découvrir leur puissance dans le concert des nations, alors que les Européens ont encore leur mot à dire en Asie. La Première Guerre mondiale s'achève avec la montée en puissance des États-Unis et du Japon, tandis que la Chine, divisée, continue sa descente aux enfers. Les Américains misent un temps sur Tchang Kaï-chek : « La Chine signe la déclaration des Nations unies le 1er janvier 1942... Roosevelt l'inscrit dans sa liste des grandes puissances ». Le Japon impérial dévore la Chine et les colonies occidentales jusqu'à l'été 1945. L'arme atomique permet alors aux Américains de vaincre le Japon tandis que l'URSS rompt le pacte de non-agression, progressant en Mandchourie et en Corée. La même année, la décolonisation commence en Asie ; elle s'accompagne de la guerre d'Indochine, tandis que la guerre de Corée appartient davantage à une vision de guerre froide entre l'Est et l'Ouest. La conférence de Bandoung déclenche une rivalité croissante entre l'Inde et la Chine devenues leaders du Tiers Monde. Quand les États-Unis se retrouvent englués au Vietnam au nom du containment et de la théorie des dominos, ils voient la possibilité de jouer « la carte chinoise » pour faire éclater le bloc communiste déjà fissuré par les initiatives de Mao. Dès 1978-79, il est évident que l'URSS et la Chine suivent des voies divergentes et la diplomatie américaine en joue abondamment sous Nixon comme sous Reagan.

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Pierre Grosser, professeur à Sciences-Po Paris, a réalisé un travail colossal construit sur une bibliographie monumentale qui laisse pantois, et où dominent les références d'ouvrages américains. Aussi n'est-on pas loin de penser qu'il s'agit là essentiellement de l'interprétation américaine des relations entre les États-Unis et la Chine. C'est même par moment plus une histoire de la politique extérieure de Washington qu'une histoire de l'Asie de l'Est. Mais une histoire où le monde de l'Asie-Pacifique aurait plus de poids que les relations transatlantiques. La vision française traditionnelle et encore parfois scolaire des Guerres mondiales et d'autres événements du siècle passé se trouve évidemment sinon totalement remplacée du moins vivement concurrencée par ce panorama surgi d'une vaste compilation de travaux d'universitaires surtout anglo-saxons.

Un passage de la page 553 montrera assez bien le genre de réflexions que le lecteur pourra retirer de cette lecture :

« L'Occident, et notamment les Américains, rêvait d'une Chine devenue “normale”. Elle semblait le devenir puisque les manifestations apparaissaient comme la “société civile” démocratique, puisqu'ils portaient une réplique de la statue de la Liberté, et puisqu'ils expliquaient, souvent en anglais, qu'ils cherchaient à faire évoluer loyalement un régime injuste et parfois corrompu. En revanche, avec les événements de 1989, la Chine redevient “orientale”, soit qu'on la critique, soit qu'on “comprenne” la répression dans un pays immense, dont la culture serait particulière, et qui aurait besoin d'ordre. »

Il faut donc prévenir le lecteur qu'une connaissance assez précise de ce siècle en Asie est requise pour espérer tirer profit de ce livre solidement documenté, sous peine d'être noyé dans des considérations purement politiques sans avoir jamais rencontré la trame événementielle précise des décennies passées.

• Pierre GROSSER. L'histoire du monde se fait en Asie. Une autre vision du XXe siècle. Odile Jacob, mai 2017, 655 pages.

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1900 - 2000, #CHINE, #RELATIONS INTERNATIONALES
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