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Passage obligé pour le pétrole du Golfe, le détroit d'Ormuz, on aurait pu l'imaginer dans un thriller de John Le Carré par exemple, avec des agents britanniques nostalgiques du temps d'avant, quand les émirats n'étaient pas indépendants, ou quand les pasdaran n'avaient pas encore inventé la guerre navale asymétrique. Mais c'était plus difficile a priori de le retrouver dans la fiction française. Or, Jean Rolin l'a fait avec ce récit qui tourne autour de deux personnages, Wax, l'aventurier qui projette la traversée du détroit à la nage, et le narrateur qui l'accompagne, le précède, ou le recherche — c'est selon les chapitres.

Sur le prétexte du récit, pas de mystère. L'incipit ne vous laissera aucune espérance d'exploit de natation : « Après sa disparition, je me suis introduit dans la chambre de Wax à l'hôtel Atilar afin d'y inventorier ses affaires…» Il reste à l'auteur de faire vivre pendant deux-cents pages les allées et venues de son narrateur sur les rives arabes et iraniennes, passant d'une ville à une autre, d'une île à une autre, à la recherche du meilleur endroit pour traverser à la nage, non pas d'un continent à l'autre, mais d'une île iranienne comme Larak à une île de la péninsule de Musandam, au sultanat d'Oman. À la dernière page, Wax, au milieu du détroit, allume une cigarette par « 26°25' de latitude nord et 56°10' de longitude est » : peut-être est-ce ce qui l'a perdu ?

• Mais qui était-il ? Était-il préparé à accomplir un exploit double de la traversée du Pas-de-Calais ? Et qui aurait valu d'être médiatisé comme l'exploit récent d'une nageuse entre Cuba et la Floride. Le narrateur s'entraîne en solitaire dans les piscines de son hôtel à Abou Dhabi ou à Dubaï, mais Wax ne semble pas en avoir fait autant. Était-il un militaire, un marin, un ancien des opérations spéciales, un hurluberlu ? Ou un suicidaire ? Des Iraniens sont assez logiquement prêts à le prendre pour un espion vu son comportement et le contexte de tension. Le fait est que Wax a rencontré des amiraux et que le narrateur s'intéresse particulièrement aux navires de guerre à quai, protégés par des murs de conteneurs, ou qui patrouillent en mer car 2012 c'est une période de crise dans le Golfe à cause des sanctions votées contre Téhéran pour sa politique nucléaire. Au passage, déploration sur ce qu'est devenu notre marine, à l'image de ce vieux Cassard dont on croit que se moque l'équipage d'un croiseur américain, et remarques sur une foire consacrée aux armements que les émirs achètent comme des petits pains vu la trouille que l'Iran leur flanque. Un autre intérêt du narrateur — intérêt inattendu— se situe autour des oiseaux, peut-être pour faire comme Wax dont on sait qu'il a oublié un manuel d'ornithologie chez un épicier pakistanais... Et pour ajouter de la légèreté.

 

• Alors quelles raisons de lire ce titre déjà bien remarqué dans la Rentrée littéraire 2013 ? Pas vraiment un reportage objectif car l'attitude du narrateur est plutôt hostile aux Iraniens —contrairement à ce que Jean Rolin déclare dans son interview au Nouvel Observateur— à preuve la description du rivage de l'île de Larak « infesté de pasdaran ». Il est assez remarquable que l'auteur ne donne pas les raisons présentes de la tension internationale qui est l'horizon du récit ; il en résulte un climat plutôt absurde —et la tentative de Wax aussi peut être rangée au rayon de l'absurde— mais cette sensation est originalement renforcée de touches d'exotisme —images du désert— et additionnée de ruines diverses. Le passé, en effet, n'est pas tout à fait absent. Ici ou là subsiste un vieux fort portugais ruiné par les guerres ou l'usure des siècles. Surtout, la guerre des pétroliers de 1986 est rappelée avec force détails, comme une fiche wikipedia, avec une liste de navires détruits par les Iraniens. Sur une côte où Wax aurait pu entreprendre sa traversée git l'épave pitoyable d'un chaland de débarquement (p.199) : « Quel qu'ait été le destin de ce bateau (…) sa coque et ses superstructures portaient les traces de si nombreux impacts, dont certains l'avaient traversé de part en part, d'autres ayant soulevé et tordu sur plusieurs mètres les tôles du pont, qu'il fallait qu'on se fût acharné sur lui avec une obstination véritablement démoniaque, et bien au-delà de ce qui eût été suffisant pour le mettre hors de combat. »

Le sentiment du tragique est donc bien rendu par Jean Rolin. Aussi ce livre  —riche en ports et en bateaux comme Terminal Frigo— n'est-il pas totalement réservé aux amateurs d'histoire ou de géographie !

 

• Jean ROLIN : Ormuz. - POL, 2013, 217 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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