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Ce n'est plus l'époque de Pocahontas et pas encore celle de Sitting Bull. Pourtant le récit fourmille de personnages extraordinaires. Des guerriers et des chefs de village ! Par exemple Kondiaronk — « qui inspira l'Adario des Voyages du baron de La Hontan et, par là, le modèle de tous les nobles sauvages qui devaient hanter par la suite la littérature européenne », ou le célèbre Pontiac, ou La Grue, alias Atchatchakangouen, ou White-Middle groundencore La Demoiselle, un chef de guerre miami, et Tecumseh, dernier héros amérindien de cette épopée… Sans compter les chefs religieux comme Néolin, le prophète delaware qui pensait que les Indiens pourraient vivre indépendamment des Blancs, ou Papounhan inspiré par les quakers.

D'autres exotiques personnages sillonnent ces villages algonquins du Pays d'en Haut : les Robes Noires — c'est-à-dire les Jésuites — les soldats comme Cadillac ou les aventuriers comme Cavelier de La Salle, les marchands de peaux de castor venus de Detroit en canoé jusqu'à Michillimakinac, tandis qu'Onontio, le gouverneur siégeant à Québec au nom du roi bourbon, les surveille tous de loin, comme un vrai "père" surveille ses "enfants", garant de la Grande Paix de 1701 avec les cruels Iroquois — Onontio ainsi nommé par les Algonquins selon une expression mohawk. Car c'était leur ennemie cette Iroquoisie composée de cinq ou six nations soutenues par les Anglais de New York et de Philadelphie, domaine qui s'étendait entre les Grands Lacs et les Appalaches.

Au XVIIe siècle encore, les Algonquins prenaient ces Blancs pour des manitous mais une plus juste vision des choses se mit en place quand ils virent que les famines se produisaient malgré tout. Les Français devaient faire des cadeaux aux chefs des villages afin que ceux-ci puissent tenir leur rôle, récompenser leurs guerriers et dissuader les jeunes de faire des bêtises — du point de vue des Français — telles que scalper les vaincus, les attacher au mât de torture, les découper en morceaux, les faire cuire et les manger rituellement ou bien faire prisonniers les marchands de peaux de castor, ou bien encore violer les femmes de la tribu d'en face, car des Blanches il n'en venait guère jusqu'ici. À cette condition des cadeaux, Onontio pouvait parfois compter sur ses Peaux Rouges pour intimider les voisins, envoyer des "ceintures de guerre" aux  tribus prêtes à passer dans le camp de Londres, et in fine défoncer le crâne de quelques Anglais à coups de tomahawk.

Mais pourquoi "Middle Ground" ? Depuis les années 1650, en plein milieu du Nouveau Monde, des liens variés se tissent entre les villageois amérindiens, réunis sous l'étiquette d'Algonquins, et les Français du Canada. Cette sorte de terrain d'entente, de compréhension mutuelle qui n'exclut pas des gestes de colère de part et d'autre, ce métissage par les femmes indiennes qui tiennent le ménage du trappeur ou du marchand européen, ces adoptions de prisonniers blancs par les Indiens, c'est ce que l'auteur appelle le Middle Ground et cela se joue dans un espace qui est celui des Grands Lacs et du bassin de l'Ohio que convoitent les Iroquois plus proches, eux, des colons anglais réputées, mais à tort finalement, mieux payer les fourrures pour l'exportation. Après 1763, l'influence anglaise l'emporte mais il subsiste encore de bons souvenirs du temps d'Onontio. En fait il va encore leur falloir se battre, pour le "père" anglais maintenant contre les insurgés américains. La Louisiane est passée aux Espagnols, mais les marchands français sont toujours présents entre les Grands Lacs et la Nouvelle Orléans, sur un axe où Tecumseh imagine créer une confédération pour résister à la progression des Treize colonies vers l'ouest. Il sera vaincu en 1812.

Iroquois-1800  

Les Iroquois vers 1800

 Publié en 1991 par un historien de Stanford, ce gros ouvrage érudit passe donc au crible les relations des Indiens avec les Blancs, les uns et les autres étant emportés dans des rivalités étudiées en détail jusqu'au début du XIXe siècle — car avec la mort de Tecumseh, toute ambition indienne s'écroule et les tribus indiennes n'intéressent plus guère que les ethnologues en quête d'authentiques sauvages : wyandots, wéas, sioux, shawnees, senecas, renards, outaouais, miamis, hurons, delawares, etc...

Ce livre est impressionnant par l'abondance des sources mobilisées ; leurs auteurs sont militaires, administrateurs, commerçants, aventuriers et missionnaires. Richard White s'appuie sur les archives des fonds de bibliothèques étatsuniennes et canadiennes ainsi que sur toute une littérature anciennement publiée, comme l'ouvrage de La Hontan datant de 1703 que l'on vient de rééditer. Apparemment on ne voit guère d'apport de l'archéologie à ce travail minutieux et qui suit le plus possible la chronologie. Cette façon d'écrire l'histoire peut sembler dépassée et singulièrement manquer de pédagogie à travers ses sept cent pages, mais on ne trouverait nulle part ailleurs autant d'explications de ce monde disparu dont la toponymie est paradoxalement la preuve : à regarder une carte du Middle West quelle abondance de noms indiens et français !

Richard WHITE : Le Middle Ground - Indiens, Empires et Républiques dans la région des Grands Lacs, 1650-1815. Traduit par Frédéric Cotton. Anacharsis, 2009, 731 pages.

 

 

 

Tag(s) : #ESCLAVAGE & COLONISATION, #ETATS-UNIS, #AMERINDIENS
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