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L'auteur nous plonge dans l'histoire des Etats-Unis au siècle dernier. Il s'agit des mémoires apocryphes de Clyde Tolson qu'une maison d'édition new-yorkaise aurait souhaité ne pas publier. Un scénariste anonyme en rachète le manuscrit dans la perspective de préparer un film.

 

Clyde Tolson a été le bras droit d'Edgar Hoover de 1932 jusqu'à la mort du directeur du FBI le 2 mai 1972. Clyde Tolson fut à la fois son adjoint, son amant secret et finalement son héritier ; il l'a suivi dans la tombe trois ans plus tard. Curieux couple de policiers que forment Tolson et Hoover. Ce dernier est incapable de changer d'un iota. Edgar Hoover c'est le gardien du temple, le témoin d'une vision dépassée de la vie politique et de la société américaines ! Il campe sur ses idées virilistes et misogynes — la seule figure féminine positive à ses yeux c'est sa mère adorée avec qui il vécut longuement. Eleonore Roosevelt et plus tard Jane Fonda figurent pour lui des horreurs.

 

Ce roman historique de Marc Dugain est à la croisée de deux mythes, celui de Hoover qui s'érigea quarante-huit ans durant à Washington en gardien des valeurs publiques américaines, et celui des Kennedy : Joe le milliardaire et ses deux fils ambitieux, John et Robert. En novembre 1963 beaucoup furent émus et attristés, y compris en France, à la nouvelle de l'assassinat à Dallas du président Kennedy tant il était admiré et populaire. Il avait été le premier homme politique à se faire élire en usant de son charme à la télévision : mince, souriant et joliment peigné, Kennedy le séducteur l'avait emporté sur Nixon son concurrent républicain qui dut attendre 1968 pour réussir à se faire élire à la Maison Blanche, l'assassinat de Robert Kennedy le favori des sondages lui ayant laissé la voie libre.

 

Il y a donc eu un mythe Kennedy et le roman de Dugain l'explose. Certes, il n'est pas le premier écrivain à le faire — sans parler des enquêtes historiques —, car American Tabloïd de James Ellroy avait déjà montré en 1995 les relations inavouables des Kennedy avec la mafia américaine et les agissements complices des services secrets et des exilés cubains. Mais les deux livres sont complètement opposés par leur écriture : autant le roman de Dugain est ramassé et brille par son style de classique français, autant le livre d'Ellroy peut être jugé fastidieux par sa longueur, son langage ordurier et ses phrases hachées. Et ce n'est pas chez Ellroy qu'on trouverait des pages excellentes sur les idées d'Albert Camus quand Tolson va se faire expliquer l'auteur français qu'il suspecte — risiblement — de représenter une nouvelle mouture du communisme par un prof exerçant en Oregon.

 

Dugain a opéré une coupe longitudinale dans la vie politique des Etats-Unis au XXe siècle. Les dialogues entre Tolson et Hoover s'ouvrent sur l'évocation des présidences de Franklin Roosevelt. Joe Kennedy bâtit sa fortune dans le contexte de la dépression commencée en 1929 et en prévoyant la fin de la prohibition — ce qui le mit en contact avec la mafia italo-américaine,. Et il forgea sa réputation en devenant pour « l'empereur » Roosevelt le gendarme de la bourse de Wall street, car il savait utiliser tous les moyens … y compris l'honnêteté comme le note plaisamment Marc Dugain. Roosevelt disparu, Hoover garda son poste sous Truman, de même que sous Eisenhower, Kennedy, Johnson et Nixon ! Démocrates ou républicains, peu importe pour Hoover qui a donc échappé au « spoil system » auquel on résume souvent le fonctionnement de la haute administration américaine. Dugain nous en explique les deux raisons : d'une part Hoover s'est érigé en guide suprême contre le communisme, d'autre part il s'est constitué une collection de dossiers secrets contre tous les personnages importants du pays, particulièrement les politiciens, par le moyen d'écoutes illicites. Tolson est mis au courant au fil des conversations avec Edgar puisqu'il partage son intimité. Naturellement, tous ces hommes politiques aimeraient bien se débarrasser du bonhomme Hoover, et c'est plus précisément le cas les frères Kennedy qui sont devenus « la malédiction d'Edgar ».

 

La vie privée de John Kennedy — il trompe sa femme et pas qu'avec Marilyn Monroe dont la mort reste suspecte —, sa façon de gouverner, ses choix politiques concernant Cuba, tout chez lui heurte Edgar et, en plus, il nomme son frère Robert à la tête du Ministère de la Justice, donc son patron direct ! Pur idéaliste, Robert Kennedy s'est mis en tête de lutter contre la mafia, celle-la même qui a aidé à la fortune paternelle, et qui en 1960 aurait favorisé la victoire de John Kennedy dans certains États — or on sait qu'il n'a devancé Nixon que d'un petit nombre de suffrages populaires... creusant victorieusement l'écart en termes de Grands Électeurs. Dès lors, doit-on s'étonner que le patron du FBI soit aussi peu actif quand lui parviennent les signaux d'alerte concernant la probabilité d'assassinat des frères Kennedy ?

 

Un livre bien documenté, une lecture édifiante... et tant pis pour le mythe Kennedy ici complètement “déconstruit”. Mais pas de favoritisme, tout le monde en prend pour son grade dans ce roman décapant.

 

Marc Dugain : La malédiction d'Edgar. Gallimard, 2005, 331 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #ETATS-UNIS
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