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Au lendemain de la Grande Guerre, le chamboulement s'étend à tous les domaines y compris la littérature. Le dadaïsme né à Zurich en 1916 en est la manifestation extrême et on retrouve le choc jusque dans ce roman de Pierre Mac Orlan. Cette œuvre qui reçut le prix Renaissance marque aussi une époque par son sujet : la cavalière Elsa venue de Crimée accompagne la vague révolutionnaire qui submerge l'Europe jusqu'à Paris. Mac Orlan, qui s'est toujours voulu apolitique, joue ici avec les troubles qui ont suivi la révolution russe, et avec la grande peur née du bolchevisme plutôt qu'avec la lueur d'espoir prolétaire née à l'Est.
Juive d'origine rhénane, Elsa encore adolescente avait convaincu sa famille d'aller s'installer au sud de la Russie en pleine révolution. Son père est devenu commissaire aux embellissements de la cité de Sébastopol : il s'agit de décorer les pendus aux arbres du centre-ville ! A ce moment, un cargo français vient d'accoster et tandis que son équipage descendu à terre découvre la triste perspective, le marin Jean Bogaert aide une fillette à ramener un lourd chargement de bois jusqu'à sa maison : c'est la blonde Elsa. On la retrouve peu après, en fille délurée, au club révolutionnaire, entourée du trio de ses amis Hamlet, Falstaff, et Puppchen, lesquels se trouvent emportés dans la vague rouge. « La guerre est belle » dit Falstaff.
Après la mort de Lénine (que Mac Orlan a anticipée de quelques années) les voici devenus lieutenants de Dorojdine, dit « le Clown », le chef de la guerre révolutionnaire qui conduit vers les capitales occidentales une Armée Rouge dont Elsa est devenue l'égérie. Elle rêve de Paris et d'une robe de mariée de chez Jeanne Lanvin. L'armée des soviets, aidée de renforts chinois, franchit le Rhin du côté de Coblence où Elsa revoit avec tristesse son quartier natal désormais en ruines. « C'est notre rôle de pendre, de brûler des villes, de partager les terres et d'effaroucher les sottes demoiselles » affirme alors Hamlet avant de poser cette question à Elsa : « Dis donc Cavalière, sais-tu ce que tu veux ? »
Pendant ce temps à Paris, Jean Bogaert devenu un peintre prometteur vit à Montmartre dans son atelier d'artiste. Le jeune homme qui « ressemblait au milieu de ses livres à un vague saint François d'Assise sportif parlant aux oiseaux », est amené par son ami Klinius à fréquenter le salon de William Lille, un intellectuel mondain et décadent dont la maîtresse est bien trop jeune telle une Lolita future. Après une brève mobilisation qui n'empêche pas l'invasion éclair de la France, Dorojdine s'empare de Paris. Grâce à son ami William Lille, Bogaert est nommé commissaire du peuple aux Beaux Arts dans le gouvernement des envahisseurs, tandis que Klinius est liquidé par le soviet de son arrondissement. Satisfaits d'eux-mêmes, les vainqueurs organisent aussitôt une fête populaire place de la Concorde et dans son stand Elsa pose nue : elle incarne la Révolution. C'est ainsi qu'Elsa et Jean Bogaert finissent par se retrouver. Ils visitent Montmartre et deviennent amants. Mais l'histoire d'amour finira mal. « On te laisse trop de liberté » déclare Hamlet à Elsa.
Ce roman de politique-fiction mené avec une évidente légèreté sur un sujet grave — la guerre et la révolution ! — multiplie les remarques insouciantes dans la bouche de divers personnages : « tout ça c'est de la blague » ou bien « ça n'a pas d'importance », comme si l'auteur ne croyait plus lui-même à la tragédie de l'histoire. Ainsi allaient les folles Années 20.
• Pierre Mac Orlan : La Cavalière Elsa. Gallimard, 1921, 271 pages. Réimprimé à la NRF en 1949-51. Réédition Folio en 1980.